Le poèle de la Tribu À l'Éléphant, 4 rue de la Poterne Rouffach
Au cours du Conseil ordinaire tenu par le Magistrat en septembre 1548, le maître de la Tribu À l'Éléphant, rapporte aux conseillers les plaintes des maçons de la ville dont la corporation subit la concurrence déloyale d'artisans "étrangers" . Cette affaire nous permettra de voir un des rôles importants des corporations qui est de protéger leurs membres des activités d'étrangers qui "casseraient les prix" ou produiraient des ouvrages de qualité moindre qui pourraient ternir la renommée de l'artisanat de la cité. Au seizième siècle, la ville de Rouffach comptait quatre tribus, reconnaissables à leur enseigne:
- la tribu zum Helphant, À l’Éléphant dont l'enseigne sculptée sur le linteau d'une porte datée 1583 figure un éléphant en chasse
- celle zum Einhorn, À la Licorne, qui rassemble les teinturiers, tailleurs d’habits, boutonniers, bonnetiers, meuniers, boulangers
- celle zum Burgelin, Au châtelet
- celle Zur Gilgen, A la fleur de lys, la plus puissante, celle des vignerons
Mais revenons à notre affaire et voyons de quoi il s'agit:
Compte-rendu du Conseil du magistrat, le mardi précédant le jour de la nativité de la Vierge 1548
Rath gehalten uff Zinstag vor Nativitate Marie 48
Es hatt der Zunfftmeister zum Helffant anzeigt,
nachdem ettliche frembde Murer alhie der Burgerschafft
arbeiten, und aber kein Burger sigen, weder Steur,
Gewerff oder Zunfftrecht gebenn, dorab sich die gemeinen
Hantwercksleuth die Murer alhie uff der Zunfft
sich zubeclagenn hetten, dwyll dann sollichs an-
geregter Zunfft widerig, batt er derwegen mann sollte
dis eintweders nit gestattenn oder aber den frembden
ein Hilffgelt ufflegen uff die Zünfft. Daruff
ist berathschlagt, mann solls ruwen lassen uff M:
J: Zukunfft, ob mann ein Hilfgelt uff die frembden
Murer legen soll oder nit.
A.M.R. BB 4 f. 93 v.
Le maître de la tribu À l’Éléphant signale au Conseil que la Corporation des maçons se plaint de la concurrence de maçons étrangers qui œuvrent pour des bourgeois de Rouffach. Ces maçons étrangers ne sont pas bourgeois de la Ville, ils ne paient ni taxes, ni taille (Gewerf), ni droit de bourgeoisie. La corporation des maçons de Rouffach demande que l’on interdise cette concurrence étrangère ou que l’on exige de ces maçons étrangers qu’ils s’acquittent d’une contribution versée à leur corporation. Après délibération du conseil, il a été décidé de laisser M. J. (mein Junckherr), le bailli, juger si l’on devait ou non exiger cette contribution de la part des maçons étrangers…
être étranger en 1548…
Rappelons qu’on devient « étranger » dès qu’on n’habite pas la seigneurie : ainsi, un maçon de Hattstatt, cité qui appartient aux Truchsess de Rheinfelden et plus tard aux Schauenbourg, peut être considéré comme un « étranger » à Rouffach ! Mais le plus souvent ceux qui sont visés sont les marchands ou artisans welches : le welche est français, il appartient à l’ennemi et en tant que tel, il peut représenter un danger en cas d’invasion française… et les artisans de nos villes se plaignent souvent de la concurrence de cette main d’œuvre welche qui « pourrit le marché du travail ».
corporations et tribus
Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans des articles d’Obermundat le rôle primordial des corporations et des tribus dans la vie de la cité.
Ces assemblées sont essentielles à plusieurs titres :
- d’abord, elles contrôlent sévèrement la qualité de la production, afin qu’elle soit toujours de la meilleure qualité pour qu’il ne puisse pas être dit et répété que tel produit fabriqué à Rouffach était de mauvaise qualité, ce qui aurait nui à l’ensemble de la profession et détourné les acheteurs des produits de Rouffach; elles permettent aux artisans de défendre leurs intérêts
- la corporation réglemente la formation des apprentis, des compagnons et des maîtres, perpétuant ainsi les savoir-faire. Les apprentis et les ouvriers sont soumis à un règlement extrêmement précis et souvent sévère et la corporation participe ainsi à la formation de bons sujets et de bons bourgeois…
- les corporations fixent les salaires des compagnons et des ouvriers, ce qui rend la concurrence difficile puisque les charges et les prix des matières premières sont identiques : aucun ne peut « casser » les prix et voler la clientèle de l’autre. Les salaires étant identiques, il est moins facile pour un patron de débaucher les compagnons et les ouvriers d’un autre, et ceux-ci seront également moins tentés de changer de patron ! Elles fixent le nombre d’apprentis, de compagnons et de maîtres, évitant ainsi un trop grand nombre d’artisans d’une même profession, qui conduirait à une surproduction qui ne pourrait être vendue…
- les corporations contrôlent les prix et la concurrence et ainsi assurent à chacun un revenu convenable
- les corporations assurent également une certaine sécurité à leurs membres : beaucoup assurent une espèce de «convention obsèques » qui, à la manière d’une confrérie, prend en charge les frais des obsèques et des messes annuelles aux anniversaires du décès, et certaines prennent même partiellement en charge l’entretien de la veuve et des orphelins…
- la corporation est également une unité militaire : chaque bourgeois est tenu de posséder un équipement militaire et l’entretenir soigneusement, et il peut être appelé à tout moment pour défendre les murs de la ville ou partir à la guerre. Chaque corporation constitue un contingent militaire auquel est attribué un canton de rempart pour y monter la garde de jour ou pour assurer la veille de nuit, la sécurité de la ville ou sa défense en cas d’attaque d’extérieure.
Les corporations représentent une véritable force dans la ville puisqu’elles réglementent toute la vie économique. Très rapidement elles sont devenues une puissance « politique » incontournable. Les chefs ou maîtres des tribus sont représentés aux conseils du Magistrat et participent à tous les niveaux à la vie politique de la cité. L’adhésion à une corporation est obligatoire pour obtenir le droit de bourgeoisie et la Zunft devient l’instance permettant de joindre l’ensemble de la bourgeoisie et de diffuser rapidement les informations importantes.
la « tribu » À l’Éléphant , « zum Helphant », 4 rue de la Poterne à Rouffach
Cette tribu rassemble les bouchers (une corporation importante, avec 32 maîtres en 1752 !), les maréchaux ferrants, serruriers, menuisiers, tourneurs, tanneurs, chamoiseurs, selliers et bourreliers, potiers de terre, charpentiers et maçons
Elle a son lieu de réunion, où se retrouvent maîtres et compagnons pour régler les affaires liées aux métiers, mais également pour des moments de convivialité après le travail : ces maisons offrent traditionnellement une grande pièce principale chauffée, le poêle, die Stube, où les membres se réunissent pour les assemblées et les fêtes et où les maîtres peuvent prendre leur repas. Cette Zunftstube est gérée et entretenue par un Stubenknecht, le valet du poêle.
Armorial Général de France 1696 Généralité d’Alsace (Registre n°1) page 77
De cette maison il ne reste que peu d’éléments du temps de sa construction. Le bâtiment porte la date 1583 et l'emblème de la corporation, un éléphant, sculpté par Frantz Baur, architecte de la ville, également architecte de l’ancien hôtel de ville voisin. Le bâtiment accolé au bâtiment principal est percé d'une grande porte en plein cintre datée de 1811. Dans une notice sur ce bâtiment, Thiebaut Walter parle d'une salle au 1er étage aux fenêtres ornées de colonnes torses. Il indiquait également que la porte sculptée de l'éléphant avait changé d'emplacement. Depuis, les étages ont été profondément remaniés et les ouvertures totalement refaites. Paul Faust me parlait souvent de la cage de l’escalier dont les murs portaient encore, dans la première moitié du siècle dernier, les dessins des corporations qui tenaient leurs sessions dans la maison, et de cette grande salle à l’étage, avant la restructuration complète du bâtiment autour des années 1950. Les restes qui subsistent, dont la porte, son linteau et le relief avec l’éléphant, la chaîne d’angle piquetée et quelques vestiges dont des éléments des colonnes torses des fenêtres, permettent d’imaginer la richesse de ce bâtiment, qui devait être le reflet de la richesse et de la puissance des marchands et maîtres artisans de la cité…
Gérard MICHEL
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