Les fenêtres gothiques de la galerie, côté promenade des Remparts.
Le document proposé dans cet article est tiré d’un registre des archives municipales de Rouffach, conservé sous la cote A.M.R. AA 3.
Ce registre est un recueil des droits, règlements, usages et coutumes de la ville de Rouffach, recopiés les uns à la suite des autres, sans plan particulier et sans respect de la chronologie, daté de 1343 pour le plus ancien et de 1517 pour le plus récent.
Il s’agit d’un ensemble de documents d’une importance considérable pour l’histoire des institutions de la fin du Moyen-Âge à Rouffach.
Le document choisi détaille l’ensemble des droits, usages et obligations réciproques de la ville et de l’abbesse d’Eschau, propriétaire d'une importante Cour, à Rouffach, depuis le VIIIème siècle.
De nombreux monastères possédaient à Rouffach des cours dont quelques traces subsistent dans la toponymie d’aujourd’hui : l’abbaye de Lucelle dans la rue de Lucelle, l’abbaye de Pairis dans la rue Pairis. Mais beaucoup d’autres couvents étaient possessionnés à Rouffach : Unterlinden de Colmar, Muri en Suisse (canton de Zurich), l’abbaye de Klingenthal à Bâle, celle de Saint Georges en Forêt-Noire, pour n’en citer que les plus importants.
L’abbaye d’Eschau, dans le Bas-Rhin, à une dizaine de kilomètres au sud de Strasbourg, possédait à Rouffach, depuis le VIIIème siècle, un domaine considérable avec vignobles, champs, prés, moulins, serfs, maisons, ainsi que d’autres revenus, dont elle avait été dotée en 770 par Remi (Remigius), évêque de Strasbourg. [1] De ce domaine ne subsiste aujourd'hui qu'une partie de sa Cour, au fond de l’impasse des Orfèvres. Ce mot Cour désigne le centre de collecte géré par l’abbesse d’Eschau, propriétaire des terres du domaine : habituellement une telle cour, seigneuriale ou domaniale, comporte écuries, étables, des lieux de stockage, granges, greniers et caves et un logis où réside le Meier, gestionnaire du domaine, mandaté par l’abbesse. De ce logis subsiste, au fond de l’impasse des Orfèvres, l’entrée de la cour, un porche ogival du XVème siècle et l’ancien fenestrage gothique de la galerie de l’étage, visible depuis la promenade des Remparts.
Dis ist unßre fraw und der stette recht und gewonheit gegen der Eptißin von Eschowe.
Droits et usages dus à l’église Notre Dame et à la Ville de Rouffach par l’abbesse d’Eschau.
Es ist zü wußende das die Eptißin und ir meiger ze Rufach die absite an der lütkilch decken und die glocken mit seÿlen versorgen sol
Il est à savoir que l’abbesse et son administrateur de Rouffach sont tenus d’entretenir la couverture de l’abside de l’église paroissiale et de fournir les cordes pour les cloches
Och sol sü alle iar unßrem kilwart geben ein vierteil weißen da mitte sol er die kilche versorgen an ofelatten
Elle doit également livrer, chaque année, un viertel [2] de blé à notre sacristain, avec lequel il devra fournir l’église en hosties
Och sol sü alle iar eime kilchmeyger ze Rufach geben yme herbest vor der trotten einen omen wißes wins an unßre frowen bu
Item, elle doit livrer, au gestionnaire de l‘église, chaque année au temps de la vendange, un ohmen [3] de vin blanc à l’œuvre Notre-Dame
Da wider sol der kilchmeiger den trotknechten geben 1 sch. d. ze trinckgelt
En retour, le gestionnaire de l’église devra offrir aux valets du pressoir 1 schilling (de denier) comme pourboire
Och sol sü yerlich unßerm kilwart geben iii omen rotz wins vor der trotten
Item, le régisseur de la Cour de l’abbesse devra livrer tous les ans à notre sacristain 3 ohmen de vin rouge, au sortir du pressoir
Och sol ir meiger alle iar zü yeder fronefasten ein vierteil kornes tün bachen armen lüten an ein spende
Item, son administrateur devra fournir, tous les ans, à chaque Quatember, (aux quatre temps) un viertel de blé et le faire cuire pour le pain des nécessiteux
Quatre-Temps ou Fronfast désigne un temps de prière et de jeune de trois jours qui divise l’année liturgique en quatre temps appelés Quartale, ou Quatember (lat. quattuor tempora, les Quatre temps) ou encore Fronfasten : ils tombent le mercredi, vendredi et samedi après le mercredi des Cendres, après le dimanche de la Pentecôte, le dimanche de l’élévation de la Sainte Croix le 14 septembre et après la Sainte Lucie, le 13 décembre. Un dicton rappelle les dates de ces journées: "Aschen, Pfingsten, Kreuz, Luzei, d' Woch' darauf Fronfasten sei."
Och sol ir Meiger alle iar an dem winaht abent ein hundert wellen strowes geben und [antwurten] in die lütkilch ze Rufach
Item, tous les ans, la veille de Noël, son régisseur devra faire porter à l’église paroissiale cent bottes de paille.[4]
Och sol sü alle iar haben einen knecht und phert daz heiltüm umb den ban zü fürende und vier knechte die da helffen gegen dem wetterlüten
Item, l’abbesse doit tenir à la disposition de la paroisse un valet et un cheval pour porter les saintes reliques (lors de la procession) autour du ban, ainsi que quatre autres valets pour sonner les cloches [5] en cas d’orage ou de risque d’orage.
Och sol sü alle iar in irme hofe haben einen stier, zwenen eber und zwene wider, in irme costen, und söllent die burger och einen stier haben und in [.elem] hofe die Styer übernahtent, da sol man sü ynne enthalten
Item, elle doit entretenir tous les ans dans sa ferme un taureau, deux verrats et deux béliers, à ses frais…
Och sol die Eptissin dem Rate alle iar geben einen Imbis oder ii Lib. d. stebler für den ymbis
Item, l’abbesse d’Eschau doit offrir tous les ans aux membres du Conseil un repas ou leur donner deux livres (de denier) pour ce repas
Och sol man alle iar üs der Eptißin hof vier erne gense und die wile die erne neret sol man dem Rate den bulüten und andere erberen lüten alle tage obentbrot us dem hofe schicken ungeverlich und die wile der herbest […] sol man dem vogt, dem Rate und den stuben gesellen win uf die stube schicken als es üs alterhar kommen und gewönlich ist, und so man das gewerf leit sol, man ein zehen mesige gelte mit wins uf die stube geben
Item, la ferme de l’abbesse doit fournir tous les ans 4 oies pour la moisson et en ce même temps de la moisson servir tous les jours, sans exception, au Conseil, aux ouvriers de l’œuvre Notre-Dame (?) et à d’autres personnes honorables, l’Abendbrot.[6] Pendant le temps des vendanges, elle fera envoyer du vin au poêle du Conseil (au bailli, membres du conseil et valets de poêle), conformément à l’usage ancestral. Et, lorsque le Conseil se réunit pour fixer le montant de la taille (das Gewerf), elle fera livrer au poêle du Conseil dix mesures de vin.
Och ist ze wußende, wene die Stat reysen mus, so sol die Eptissin und ir meiger dem rate ein phert und einen wagen dar geben der des Ratz warte.
Item, lorsque la Ville (le Magistrat ? une troupe armée ?) est amenée à se déplacer pour des raisons militaires, [7] l’abbesse et son régisseur devront mettre à disposition du Conseil un cheval et une voiture.
Wene och die Onbach als klein ist daß man by der synne nüt synnen mag, so hat die Stat recht in der Eptissin hof ob dem burnen ze sÿnnende
Item, lorsque le niveau d’eau de l’Ombach est insuffisant et ne permet pas la jauge des tonneaux, la ville a le droit de procéder à cette jauge en utilisant la fontaine (ou puits) de la cour de l’abbesse.
Och ist zü wußende daß die von Rufach iren Urgang und recht hant uf der Nidermatten zü tantzende und allen mütwillen zü hande die wile sü unmeyet ist, und wene das höwe abk[…] so mögent die von Rufach ir vihe daruff slahen. Die selb matte hat recht das höwe alle iar durch Dri[…] garten ze fürende unschedelich der Stettebrucken und stege vor fröschwiler tor
Conformément au droit et à la coutume, les gens de Rouffach disposent du droit de danser et de se distraire comme bon leur semble sur les prés de la Niedermatt aussi longtemps qu’ils ne seront pas fauchés, et après la fenaison, ils auront le droit d’y faire paître leur bétail…
Wene och die von Rufach Ir vihe in den walt slahen wellent, so mögent sü es in der obgenanten eptißin hof slahen da sammenen und den hirten antworten und wenn das vihe wider us dem walde […] so solent es die hirte aber in den hof triben das yederman sin vihe da unde und von den hirten lösen.
Avant de mener paître leur bétail en forêt, les gens de Rouffach rassemblent leurs bêtes dans la cour de l’abbesse sous la responsabilité des pâtres. Au retour de la forêt, ces mêmes pâtres doivent rassembler les animaux dans la cour de l’abbesse afin que chaque propriétaire puisse venir y récupérer sa ou ses bêtes.
Wene och die stat ernstlich ze schaffende hat und heymlich oder öfenlich reysen woltent so mögent sü sich in dem selben hofe sammenen.
Lorsque la Ville de Rouffach (le Magistrat ? un groupe armé ?) est, pour des raisons graves, amenée à reisen, en secret ou publiquement, le rassemblement se fera dans cette même cour de l’abbaye.
L'église abbatiale sainte Trophime d'Eschau:
A visiter absolument!
L'église abbatiale sainte Trophime à Eschau, est considérée comme la deuxième plus ancienne église d'Alsace, après le Dompeter à Avolsheim. L'église actuelle date essentiellement de la première moitié du 11ème siècle. Du cloître du 12ème siècle, détruit par Conrad de Lichtenberg en 1298, il reste de très beaux vestiges conservés au Musée de l'œuvre Notre-Dame de Strasbourg, notamment plusieurs chapiteaux remarquables.
Gérard Michel
Sources et bibliographie :
Théobald Walter: Die Dinghöfe und Ordenshäuser der Stadt Rufach 1898
Georges Bischoff: dans article Dinghof: cour seigneuriale ou domaniale, abusivement cour colongère, Dictionnaire historique des Institutions d’Alsace D.H.I.A. du Moyen-Âge à 1815
Sebastian Grüninger : article Régime domanial dans Dictionnaire historique de la Suisse
Archives municipales de la Ville de Rouffach A.M.R. A / AA 3
Notes:
[1] « in villa Rubeaca curtim Dominicalem cum vineis, agris pratis molendinis mancipiis XXIIII, areis decem et octo frumenti plaustralis… »
[2] Viertel : quartale, quartaut, composé de 6 « Sester » (sextaria) pour les céréales. Le Viertel vaut env. 110/120 litres
[3] Ohmen : l’aime, d’une capacité d’environ 45/50 litres
[4] quel est l’usage de ces bottes (ou plutôt gerbes) de paille ? Dans Dinghöfe und Ordenshäuser der Stadt Rufach (1898) Thiébaut Walter suggère qu’elle servaient à garnir la crèche de l’enfant Jésus… L’usage était également de couvrir le sol de l’église, à certaines occasions, de rameaux de sapin et de paille.
[5] Wetterläuten, l’alarme donnée par les cloches à l’approche d’un orage, à ne pas confondre avec Sturmläuten qui est une sonnerie de cloches prévenant de l’approche d’une troupe ennemie
[6] Littéralement le pain du soir, la collation du quatre-heures différente du Nachtessen.
[7] ! Le sens ancien de reisen n’est pas partir en voyage d’affaires ou d’agrément ! Grimm en donne la définition suivante : zu Felde, in eine Fehde ziehen, Kriegsdienst leisten, als (zeitlich und räumlich meist begrenzte) Verpflichtung der Untertanen gegenüber einem übergeordneten Herrschaftsträger, partir à la guerre, au combat