La console de l'orgue Claude Ignace Callinet de 1855
Registre des délibérations du Conseil de Fabrique: délibération du 23 mars 1855
Note en marge :
Acceptation d’un devis présenté par M. Callinet Cadet, facteur d’orgues à Rouffach, pour une grande réparation à l’orgue de la paroisse de Rouffach, suivi d’un traité du contrat.
Dans ce devis, Claude Ignace Callinet précise bien que les travaux à entreprendre sont une grande réparation de l'orgue en place dans l'église. Le greffier du conseil de fabrique note également qu'il s'agit de grandes réparations et agrandissements à faire à l'orgue de l'église paroissiale de Rouffach.
Revenons un peu en arrière et examinons l'orgue de 1855, avant l'intervention de Claude Ignace Callinet, qui nous a laissé, pour la plus grande partie, l'instrument que nous pouvons voir et entendre encore aujourd'hui.
- Le 12 janvier 1825, Dom. von Esch, organiste de la paroisse catholique de Colmar, signe le procès verbal de réception des réparations et améliorations effectuées par Callinet fils ainé (Joseph) AMR M1 M14 1-19
- Le 28 juillet 1824, dans un courrier adressé à la préfecture, le Maire Durand écrit: " pour mettre les orgues de l'église paroissiale en rapport avec l'intérieur de cet édifice qui est complètement restauré et orné, il est nécessaire de vernisser et peindre le buffet de ces mêmes orgues et d'en renouveler les ornements..."
- Le 16 août 1804, Eppel Thiébaut et Jean-Baptiste Franz, experts assermentés, expertisent et reçoivent les travaux de Joseph Rabiny / François Callinet sur l'orgue de Notre-Dame: " l'orgue est reconnu selon les règles de l'art et en foi de la teneur du devis..."
- Le 3 août 1803, Rabiny / Callinet présentent à la fabrique de l'église un devis estimatif de travaux pour un montant de 4134 francs, "qui sont d'une nécessité absolue pour ne pas les (les orgues) laisser tomber en ruine totale"
- Le 26 juillet 1793, De Zell, organiste, dépose à la commune de Rouffach une pétition déclarant que l'orgue de la paroisse était devenu inutilisable!
- En février 1758: le recteur / curé Joseph Théodore Munck et le prévôt et conseillers du Magistrat, acceptent le devis proposé par Louis Dubois, "pour l'entière réparation et augmentation des jeux d'orgue... qui par son ancienneté a besoing d'être absolument raccommodé et nettoyé"
A la lecture de ces notes, force est de constater qu'à Rouffach, les orgues ont une vie plutôt courte: 35 ans pour l'orgue Dubois, 22 ans pour l'orgue Joseph Rabiny / François Callinet! A titre de comparaison, l'orgue ancien, celui que Dubois remplacera en 1758, aura tenu 132 ans... et l'orgue actuel fêtera à Noël 2020 ses 165 ans...
Et cet orgue ancien qu'on n'a cessé de nettoyer, de réparer et d'augmenter, qu'en sait-on?
L'instrument a été vu et démonté en 1759 par Dubois qui en a fait un inventaire complet et en a réemployé une grande partie de la tuyauterie. Il a été également été vu par Jean-André Silbermann lors de son passage à Rouffach en août 1793 alors qu'il construisait l'orgue de Marbach. A cette occasion, il examine attentivement la tuyauterie et en dresse un inventaire complet.
Cet orgue découvert par Silbermann, dont on avait rénové et redoré le buffet en 1718-1726, est finalement l'œuvre d'un facteur d'orgues suisse, Thomas Schott, originaire de Bremgarten, près de Zürich, un instrument qui traversera les siècles. Il survécut même aux troubles révolutionnaires, l'organiste jouant la Marseillaise lorsque l'église Notre-Dame était devenue temple de la Raison! Et il en subsiste dans l'orgue actuel plus d'un demi millier de tuyaux, voisinant les tuyaux résultant des "agrandissements" par Louis Dubois, Joseph Rabiny, François Callinet, Claude-Ignace Callinet et plus tard Antoine Berger et Alfred Kern lors de la restauration de 1983...
1854: le devis de Claude-Ignace Callinet
L’an mil huit cent cinquante-cinq, le vingt-trois mars en la maison curiale à Rouffach, lieu ordinaire des séances, se sont présentés M.M. Solliet Pierre, président, Staehle Joseph, curé, Dietrich Aloyse, maire, Triponel Valentin et Riss Nicolas, membres, Leneth Désiré trésorier et Wilhelm [.] secrétaire, composant le Conseil de Fabrique de l’église paroissiale de Rouffach et réunis extraordinairement suivant autorisation donnée par l’évêché de Strasbourg, aux fins de prendre communication d’un devis daté du 11 décembre 1854 présenté par M. Callinet Cadet, facteur d’orgues à Rouffach, au sujet de grandes réparations et agrandissement à faire à l’orgue de l’église paroissiale de Rouffach.
- Vu le devis qui présente le chiffre de sept mille huit cent soixante francs à dépenser pour les réparations et agrandissement exigés
- Attendu que l’orgue de la paroisse de Rouffach est en fort mauvais état, qu’il est urgent d’en faire faire les réparations indispensables pour la conservation de l’instrument digne sous tous les rapports d’être amélioré
- Attendu que ces réparations sont de nature à exiger une grande dépense
- Attendu qu’il est important, vu l’édifice remarquable d’y placer un orgue conforme à l’église et de faire en sorte que cet instrument puisse par la suite recevoir toute l’extension qu’il importe de lui donner,
est d’avis d’accepter la proposition de M Callinet contenue en son devis dont le détail suit :
- Il sera fait un buffet gothique, en bois de sapin, peint en couleur de chêne. Les parties latérales auront [illisible] 1 ou 2 des plans présentés : 1800
- Les anciens soufflets seront réparés, pour ce : 360
- Il sera fait 3 claviers blancs de 54 notes pour 140
- Il sera fait un clavier de pédale en chêne de 24 notes pour 20
- Le mécanisme sera refait à neuf pour 1100
- Les porte-vents en bois seront neufs pour la plus part :100
- idem en mélange : 200
- Les sommiers du grand orgue seront neufs : 500
- idem du positif : 400
- idem du récit, 42 notes : 250
- idem de pédale 24 notes : 280
- La charpente des soufflets sera neuve en partie : 70
- L’enclos de la pédale et des soufflets sera presque neuf : 100
- Les gosiers, châssis seront regarnis de peau neuve : 60
- Un soufflet tout neuf pour 280
- Deux pièces [illisible] neuves, ponts, tringles : 200
- Les anciens jeux seront réparés, égalisés et parfaitement accordés: 350
- Un buffet pour l’expression du récit : 200
- Une montre de 16 pieds en étain fin commençant au premier si bémol de la basse pour 1200
- Une flûte de 8 pieds au positif en mélange, la basse en bois de sapin pour 250
Total Sept mille huit cent soixante francs 7860
Le conseil, après avoir pris connaissance du devis qui précède, de la somme qu’il comporte mais qu’on a réduit à sept mille huit cent francs, a reconnu l’utilité des réparations exigées pour l’orgue en question ; en conséquence, il a été unanimement décidé qu’on accepterait le devis ci-dessus dans les conditions suivantes :
Entre les soussignés membres du conseil de fabrique de l’église paroissiale de Rouffach d’une part et M. Ignace Callinet, facteur d’orgues, d’autre part, il a été convenu ce qu’il suit, savoir :
- le Sr. Callinet s’oblige à fournir et placer dans l’église paroissiale de Rouffach un orgue conforme en tous points au devis dressé par lui, signé par lui et approuvé par les membres de la fabrique en date du 11 décembre 1854
- le dit orgue devra être achevé et prêt à être reçu par un expert choisi par le dit conseil et à ses frais pour la fête de Noël de l’année mille huit cent cinquante-cinq.
- le dit facteur garantit pendant dix années la solidité et son ouvrage à partir du jour de l’achèvement
- le prix total des travaux demeure fixé à la somme de sept mille huit cent francs, quoique le total s’élève au chiffre de sept mille huit cent soixante francs, sera payé par la fabrique de l’église paroissiale de Rouffach représentée par ses membres qui s’y obligent comme tels de la manière suivante, savoir douze cents francs aux premiers jours et les six mille francs restants en six termes et paiements égaux dont le premier écherra (sic) à Pâques de l’année mille huit cent cinquante-six et les cinq autres à pareille époque des cinq années immédiatement suivantes avec l’intérêt à raison de cinq pour cent par an à partir du jour de la réception des travaux exécutés ; toutefois si M. Callinet avait reçu un acompte quelconque avant l’achèvement des travaux reçus, il devra bonifier à la dite fabrique les intérêts de la somme acceptée par anticipation, et dans tous les cas, il sera facultatif au Conseil de Fabrique de se libérer avant l’échéance des termes si la Fabrique était en mesure de le faire.…/…
L'un des angelots de la façade de l'orgue, "marque de fabrique" de Claude Ignace Callinet
L'histoire de l'orgue de Rouffach est étonnante à plus d'un titre: comment se fait-il qu'un demi-millier de tuyaux d'orgues ait pu traverser presque quatre siècles d'histoire, alors que d'habitude les facteurs d'orgues n'avaient guère de scrupules à refondre les tuyaux anciens pour en fabriquer de nouveaux!
Comment se fait-il aussi que Rouffach, patrie des Callinet, n'ait pas demandé à Claude Ignace Callinet de placer dans l'église Notre-Dame un orgue neuf plutôt que de réutiliser des tuyaux anciens vieux de deux siècles?
Claude Ignace a fourni un buffet neuf, trois claviers de 54 notes et un pédalier de 24 notes, quatre sommiers neufs rendus nécessaires par l'extension des claviers à 54 notes (les orgues précédents avaient 41 notes en 1626, portés à 49, puis 51..), une mécanique neuve un soufflet et des porte-vents. Pour la tuyauterie, il ne posera que la Montre (la façade de tuyaux du nouveau buffet) et une flûte de 8 pieds au positif... Pour le reste, il réutilisera les tuyaux de Thomas Schott, de Dubois, de Rabiny, de François et de Joseph Callinet !
Alors orgue Callinet ou pas?
Ceux qui posent cette question oublient que ce qui donne à un orgue sa couleur sonore, son éclat et sa plénitude est le fruit d'un long travail dans lequel réside l'art du facteur d'orgue, l'étape finale de la réalisation d'un orgue: le travail d'harmonisation à partir du tuyau brut, un travail complexe d'une infinie précision sur les hauteurs de bouche, les largeurs des lumières, l'ouverture du pied... et c'est par ce travail que le facteur d'orgue imprime sa marque dans l'instrument qu'il termine. Quelles sont les raisons pour lesquelles Claude Ignace Callinet a réparé et augmenté l'orgue ancien plutôt que de faire du neuf? A voir comment les autorités municipales insistent pour faire baisser le devis de 60 francs on doute qu'il n'a pas eu ce choix et a proposé un devis, au plus juste. Mais il a, sans aucun doute, repris en main, patiemment, un à un, ces vieux tuyaux pour créer dans cet orgue un ensemble sonore en harmonie avec les volumes du lieu, l'esthétique de son époque et sa propre sensibilité, une harmonie que les facteurs d'orgues qui ont suivi, Alfred et Daniel Kern puis Antoine Bois se sont employés à conserver ou à restituer, si nécessaire. Alors, l'orgue actuel sonne-t-il encore comme il sonnait à Noël 1855 ? Qui saurait répondre?
Quelques découvertes dans les anciens registres du Conseil de Fabrique:
Le 23 avril 1854, M.Haumesser Antoine, en raison de son grand âge, prend sa retraite comme organiste et désigne son fils Charles comme son successeur.
Dans une délibération du 30 mars 1856, le Conseil de Fabrique désigne les personnes qui peuvent monter à l’orgue : parmi elles, Messieurs Callinet aîné et Callinet Cadet et Thurner, organiste. Ce dernier sera encore mentionné comme organiste le 7 avril 1861. Ignace Callinet, élu au Conseil de Fabrique le 30 janvier 1860 en remplacement de Joseph Pierre Solliet, décédé, est porté démissionnaire le 2 décembre 1870
Gérard Michel