Une découverte exceptionnelle mise à jour dans le chœur de l'église N.D.
Quelques jours plus tard, après une autre intervention, avec cotons tiges, lingettes, brosse à dents et scalpel...
L'intuition était bonne ... et la chance avec nous !
Dans l’article paru sur obermundat.org le 4 mars 2024 nous avions fait part de la découverte, sur le mur sud du chœur, sous le décor peint du XIXème siècle, de ce que nous avions interprété comme étant deux chiffres, deux quatre, en chiffres arabes du 15ème ou 16ème siècle.
Nous avons rapidement fait le rapprochement avec un Mémoire de 1723, conservé aux archives municipales de Rouffach, qui rappelait les événements successifs qui avaient marqué les relations entre les bourgeois de Rouffach et les juifs, depuis le Moyen-Age.
Voici un extrait de ce Mémoire :
« En l’année 1309, les juifs ont empoisonné les puits, occasionnant ainsi la mort de nombreux bourgeois. C’est pourquoi les bourgeois de la ville ont tué tous les juifs qu’ils ont trouvés dans la ville et fait fuir les autres. Quelques années plus tard, les juifs voulurent à nouveau pénétrer dans la ville : en l’année 1338, le jour de la Conversion de Saint Paul, les bourgeois ont pris dans les trois cents juifs qu’ils ont menés dans un certain endroit pour les brûler : cet endroit a gardé jusqu’à aujourd’hui le nom de Judenmatt, le pré des juifs. Et c’est ainsi qu’à cette époque, la ville de Rouffach s’est débarrassée totalement et définitivement de cette mauvaise engeance juive, comme cela peut se lire dans un Urbaire sur parchemin dont les termes ont été reproduits en peinture en l’année 1444 et visibles sur les murs mêmes de l’église paroissiale. »
Note: Ce texte comporte d’ailleurs une erreur, une inversion de dates : c’est en 1309 et non en 1338 que des Juifs ont été brûlés sur la Judenmatt, le pré des Juifs… En 1338, d’autres ont été massacrés, mais en ville, cette fois.
Les deux chiffres quatre qui apparaissaient sur le mur sud du chœur seraient-ils ceux qui terminent cette date de 1444 ?
Et voici le fragment de cet Urbaire relatif à cet épisode, mentionné dans le Mémoire précédent :
Anno dni M CCC XXXviii uff Sanct Paulus Bekerungs Tag sind die Judden alhie zu todt geschlagen worden
L’année du Seigneur 1338, le jour de la conversion de saint Paul (25 janvier), les juifs de Rouffach ont été massacrés
Dans sa Chronique (entre 1510 et 1530) Materne Berler rapporte l’évènement en ces termes :
Anno domini M.CCC.IX IOR AN SANCT Hilarius tag synd zu Ruffach verbrant worden die Juden uff einner matten die darnach wart genant die Juden matt …
Le jour de la saint Hilaire en l’année du Seigneur 1309, les juifs de Rouffach ont été brûlés sur une prairie qui fut alors appelée le Pré des Juifs.
Plusieurs témoignages confirment la présence de cette inscription sur le mur du chœur de l’église qui aurait encore été visible, selon Appolinaire Freyburger, en 1820. Dans son ouvrage, Die Juden in Rufach (1906), le Dr. M. Ginsburger, rabbin, cite le texte de l’inscription :
Anno Dn. MCCCIX / in die Hylarii / fuit combustio Judaeorum.
L’année du Seigneur 1309, le jour de Saint Hilaire, les juifs ont été brûlés.
Notre article du 4 mars 2024 se terminait ainsi :
« L’avenir, prochain je l’espère, nous éclairera … ou pas ! »
Et l’avenir nous a effectivement éclairé, notre hypothèse était juste, la suite de l’opération de dégagement menée par Laura Turrini, restauratrice directrice de l’atelier Orpimento, a révélé l’inscription suivante :
Il s’agit bien là de l’inscription réalisée en 1444 sur le mur sud du chœur de l’église Notre-Dame de Rouffach, relatant le massacre des Juifs par la population de Rouffach en janvier 1309.
La date du massacre y figure en chiffres romains, celle de l’inscription 1444 en chiffres arabes, le texte est en latin :
Anno domini 1 / 309, In die hylarii fuit / combustio judeorum
Cette inscription du chœur sud de l’église reste pour l'instant incomplète, mais elle devrait être dégagée ultérieurement dans le cadre d’une opération nouvelle.
Cette découverte, fondamentale sur le plan historique et patrimonial, pose maintenant de nouvelles questions :
- nous savons que toute l’église était peinte, et qu’elle a été entièrement et très consciencieusement grattée, lessivée, brossée… au XIXème siècle : pourquoi a-t-on « épargné » ce mur sud du chœur? Plusieurs petites fenêtres dégagées par les restaurateurs ont révélé d’autres traces du décor médiéval, sous le décor "moderne" du début du XXème siècle, ce qui laisse supposer qu’il y aurait encore d’autres décors ou inscriptions à découvrir...
- un témoignage fiable dit que cette inscription avait été recouverte d’une boiserie en 1820 : pourquoi ne l’a-t-on pas nettoyée tout simplement à ce moment-là ?
- pourquoi a-t-on réalisé cette inscription en 1444, 135 ans après le massacre des juifs ? 1444, à plusieurs titres, est une date importante dans l’histoire de la cité : c’est en particulier l’année des massacres et des mises à sac de la ville par les écorcheurs, les armagnacs …peut-on imaginer un rapport ?
- cette inscription se trouve dans le chœur, un chœur qui était alors fermé par le jubé, et en principe inaccessible aux fidèles : si cette inscription devait avoir une fonction pédagogique, comme c’était le cas pour les peintures de la nef représentant des scènes bibliques, pourquoi n’aurait-elle été visible que par les clercs ? En 1444, on n'était plus dans le même état d'esprit qu'au retour des premières croisades où l'on cultivait la haine du juif, responsable de la mort du Christ, une haine attisée par l'Eglise dont les sermons incendiaires prêchaient que les juifs devaient être massacrés comme ennemis de la religion chrétienne. Depuis, trois siècles avaient passé...
- et pourquoi avoir choisi « d’immortaliser » le massacre de 1309 et pas celui de 1338 ?
Autant de questions qui, pour l'instant, n'ont pas de réponses...
Cet épisode n'est certes pas le moment le plus glorieux de l'histoire de notre ville, mais la découverte de cette inscription a une valeur patrimoniale de tout premier plan et elle permettra d'étoffer l'histoire de la communauté juive de Rouffach. Rappelons que la Ville conserve dans ses murs la plus ancienne synagogue conservée d'Europe. Ce bâtiment a fait l'objet d'un mémoire de Master très complet à l'université de Bamberg par Carla Heym. Die mittelalterliche Synagoge von Rouffach 2020 / 2021
Un grand merci à la restauratrice Laura Turrini et à l'équipe d' Orpimento, pour leur amicale complicité et leur exceptionnelle expertise ...
Gérard Michel
photos de l'auteur
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