Restauration des vitraux Franz Xaver ZETTLER et du chevet de N.D. de Rouffach (avril 2023)
A 866 kilomètres de Rouffach, Burg Kreuzenstein...
A une quinzaine de kilomètres au nord de Vienne, en Autriche, sur un promontoire surplombant le Danube, se dresse l’imposante silhouette du château Kreutzenstein. Ce n’est pas une ruine, mais une reconstruction originale, sur des ruines anciennes, selon l’idée que l’on se faisait au milieu du XIXème siècle de ce que devait être un château médiéval : un Haut Koenigsbourg autrichien !
Mais à la différence du Haut-Koenigsbourg, Burg Kreutzenstein intègre dans sa reconstruction par le comte Johann Nepomuk Wilczek, beaucoup d’éléments d’architectures des siècles précédents. Un patchwork dans lequel se mêlent un grand nombre de pièces démontées pierre-à-pierre dans des châteaux allemands et autrichiens, une maison à colombage, une galerie gothique provenant de Slovaquie, une loggia romane rapportée de Venise, etc. L’inauguration se fit en 1906, en présence de l’empereur Guillaume II, le même qui inaugurera le nouveau Koenigsbourg le 13 mai 1908…
Burg Kreuzenstein et Rouffach ???
En 1902, le comte Wilczek, mécène d’artistes et d’expéditions polaires, acquiert six panneaux d’un vitrail médiéval auprès d’un marchand d’art, Martin, de Dresde. Selon ce dernier, elles proviendraient de l’église de Beelitz, dans la province prussienne de Brandebourg, au sud-ouest de Berlin. Cette indication d’’origine était manifestement fausse et conduisit rapidement, dès le début du vingtième siècle à des recherches qui permirent grâce à une note trouvée dans l’inventaire des panneaux, d’identifier le donateur de ces vitraux. Il s’agit de Jacob Schedeler [1], dont le nom figure sur l’un des panneaux, et qui était reconnu comme membre d’une famille colmarienne. Ce qui permit aux chercheurs de supposer que ces verrières étaient originaires d’Alsace.
Cette thèse fut confirmée par la découverte, dans l’Obituaire des Dominicains de Colmar, de la mention « dominus jacobus miles dictus Schedeler », Jacob Schedeler, qui avait siégé au Conseil de la Ville en 1279 et 1308. Ce repère conduisit les chercheurs à la conclusion que ces panneaux provenaient d’une église colmarienne et l’un d’eux avança même qu’ils venaient du transept de la collégiale Saint Martin ! C’est alors qu’on découvrit la mention par Franz Xaver Kraus en 1884, de six vitraux anciens, dont l’un des panneaux portait l’inscription Jacob Schedeler, qui se trouvaient alors dans le chœur de l’église Notre-Dame de Rouffach. [2] Ulrike Brinkmann confirma cette découverte par la description précise qu’un curé bâlois avait fait de ces verrières en 1881. Ainsi l’on put reconstituer avec précision l’histoire des vitraux médiévaux du chœur de Notre-Dame de Rouffach.
Mais tout cela ne dit toujours pas ce sont devenus ces panneaux !
Jusqu’en 1895 ou 1899, ils étaient placés, de façon symétrique, dans les trois baies du chœur, avec des éléments d’autres vitraux de la même époque, qui devaient occuper originellement huit autres baies du chœur.
En 1866, au moment de la restauration de l’église sous la direction de l’architecte parisien Mimey, ils ont été répartis dans les 5 fenêtres du chœur.
Entre 1895 et 1899 furent réalisés et posées les nouvelles verrières du chœur de Notre-Dame par la firme munichoise Franz Xaver Zettler [3]. Les vitraux médiévaux furent, dans un premier temps, entreposés dans des caisses dans le presbytère de Rouffach [4] . La firme Zettler aurait alors entrepris de restaurer et de compléter les parties manquantes des verrières, avant que les six panneaux ne disparaissent de Rouffach et se perdent dans le marché de l’art. On suppose que leur attribution à l’église de Beelitz avait été diffusée sciemment par Zettler lui-même, pour cacher leur véritable origine et permettre ainsi qu’ils puissent être vendus !
Des verrières initiales, il ne restait plus, après 1902, que les six panneaux Schedeler qui furent intégrés dans les fenêtres de la chapelle du Château de Kreuzenstein, taillées aux dimensions exactes des panneaux de Rouffach. Ils y restèrent jusqu’à 1975 où leur restauration fut entreprise : certains décors avaient été montés à l’envers, il fallait les remettre en plomb, refaire les armatures métalliques, etc. Les six motifs avaient été montés entourées de Butzenscheiben (de vitres en culs-de-bouteille), et insérés dans deux fenêtres coulissantes ! On découvrit à ce moment qu’ils avaient fait l’objet de restaurations et de modifications bien avant celle à laquelle avait procédé F.X. Zettler. Un document conservé aux archives de Rouffach (A.M.R. CC 65 29 avril 1496) permet même de dater avec précision cette intervention : … alle fenster, grouss und clein, in dem chor in unser lieben frouwen munster .. ze bessern, und ze sufern nach aller noutturfft, alles in sinem costen; darzu VI stück von schiben nuw zu machen. Item, und sol er nehmen von den VI stücken, so er uss dem erstgemelten fenster dannen nimpt, alle stück, von was farben die sint, wo das nout wurt, damit ze bessern…, le Schultheiss, le Conseil et l’économe de l’église ont chargé en 1496 Ulrich Herboten de „réparer“ et nettoyer toutes les fenêtres, grandes et petites de notre église Notre-Dame, selon les nécessités, tout cela à ses propres frais. Item, des 6 « pièces » qu’il prendra alors dans la fenêtre dont il vient d’être question, il les utilisera, quelle qu’en soit la couleur, pour réparer (améliorer) tout ce qui en aura besoin…
Mis à part les panneaux Schedeler, tout ce qui restait des verrières anciennes de l’église, disparut entre 1895 et 1899
Au château de Kreuzenstein, après la restauration entreprise en 1975, les vitraux ne furent remis en place qu’en 1979 et l’on constata à ce moment que quatre panneaux manquaient…
Le panneau qui permit de retrouver l’origine alsacienne de l’œuvre représente le donateur, Jacob Schedeler, à genoux, ainsi que son blason et le heaume. Un autre représente le Christ, juge du monde. Les autres sont des scènes tirées de l’Ancien Testament : l’ascension du prophète Elie, Samson emportant les portes de Gaza, le Pélican nourrissant ses petits et la Lionne et ses petits. Tous ces panneaux peuvent être datés de 1270 / 80, de la même époque que les consoles sculptées soutenant les voûtes du chœur et que les deux visages ornant la porte de l’ancienne sacristie…
Pour voir les vitraux du XIIIème siècle de l’église Notre-Dame de l’Assomption de Rouffach, il faut donc se rendre au Château Kreuzenstein, à Leobendorf, en Basse-Autriche… c’est à 866 kilomètres de Rouffach ! Mais on va bien à New York au Musée The Cloisters, qui est bien plus loin, pour voir les cloîtres de l’abbaye de Saint Michel de Cuxa, de Saint Guilhelm le Désert, de Froville en Lorraine, ou encore une Vierge polychrome du jubé de la cathédrale de Strasbourg !
Oui, mais...
Revenons à la réalité ! Burg Keuzenstein ne répond que partiellement à la question posée par le titre: Mais où sont donc passés les vitraux médiévaux de Notre-Dame de Rouffach ? Le château autrichien ne présente pas LES vitraux de Notre-Dame, mais SIX panneaux des vitraux anciens de Notre-Dame. Sous panneau, il faut entendre un assemblage de pièces de verre et de plomb qui constitue un élément d'une baie. Ce sont souvent des quadrilatères mais ses bords peuvent aussi être courbes, lorsqu'il s'agit par exemple de têtes de lancettes. Les panneaux "Schedeler" de Kreuzenstein sont des rectangles mesurant chacun entre 72/73 cm. de haut sur 54/55 cm3 de large, la largeur des baies de Rouffach. L'ensemble des 6 panneaux ne remplirait que moins d'un tiers d'une seule baie du chœur de Rouffach!
En 1884, il est encore question dans les sources de six panneaux de vitrail ancien "du XVème siècle", se trouvant encore en place dans le chœur de l'église, portant l'inscription Jacobus Schedeler. D'autres "panneaux", ne faisant pas partie du même cycle, occupaient le reste des baies, remplaçant ceux du XIIIème siècle, disparus dans les tourmentes des guerres, ou changés au gré des modes, peut-être au XVème siècle, contemporains des peintures murales?
Peut-être que, devant ce constat, les architectes de la fin du XIXème siècle, Winkler peut-être?, ont décidé de remplacer l'ensemble dépareillé des vitraux, par des vitraux neufs, ceux posés par Zettler? Lequel Zettler aurait repris les vitraux anciens dont il a restauré une partie avant de les mettre en vente? Il faudrait retrouver et explorer en détail tous les documents, devis et marchés, relatifs à ces travaux pour trouver, peut-être, une réponse... Affaire à suivre...
Et que sont devenus les autres panneaux? Zettler en a-t-il réutilisé des éléments lorsqu'il a réalisé les vitraux actuels?
Ces vitraux sont actuellement, en avril 2023, en cours de nettoyage et de restauration et ont commencé à retrouver leur place dans l'église. Sûrement les maîtres verriers, les architectes et les archéologues du bâti se seront-ils penchés sur cette question et pourront-ils bientôt nous livrer leurs réponses...
Gérard Michel
Post-Scriptum:
en 1872:
- des travaux de vitraux , grisailles et autres pour le chœur ont été exécutés par Mme Petit-Gerard de Strasbourg, dont le mari avait déjà exécuté la grande rose de l'église...
- les travaux de vitrerie générale de la nef, des bas-côtés, du transepts et des chapelles ont été exécutés par Sigel et Fils, peintres-verriers de Strasbourg.
- les 6 grandes fenêtres du chœur ont été posées par Petit-Gerard.
source: conférence de Pierre-Paul Faust
Sources:
Rüdiger BECKSMANN: Elsässische Scheiben des späten 13. Jahrhunderts auf Burg Kreuzenstein, ein Beitrag zur Rekonstruktion der Chorverglasung der Rufacher Marienkirche österreichische Zeitschrift für Kunst und Denkmalpflege Sonderdruck 1986
Publié le 17 Octobre 2013 par Anonymous : Construire un château avec des morceaux d'architecture à Leobendorf
Burg Kreuzenstein photo Guide-So Châteaux
Notes:
[1] Le nom de Thomas Schedeler, fils de Johannes Schedeler, Ritter (chevalier) figure parmi ceux des familles nobles de Rouffach, ainsi que celui de Cuntz Schedeler, ein Edelknecht, (écuyer), dans Der alte Adel von Rufach Jahrbuch für Geschichte, Sprache und Litteratur Elsass-Lothringens Band XVI, 1900.
Dans le Liber Vitae on peut lire également : … curia ista in Pfaffengassen quondam… Schedelarii et nunc Waltheri dicti Hunolt…
[2] Franz Xaver Kraus Kunst und Alterthum im Ober-Elsass Strassburg 1884
[3] Franz Xaver Zettler 1841-1916 dessinateur et peintre de vitraux, propriétaire de la Königlich bayrische Hofglasmalerei, maître verrier de la Cour
[4] Thiébaut Walter écrit en 1900: …eines der ehemaligen Chorfenster, die heute im Pfarrhof aufbewahrt werden… in Der alte Adel in Rufach
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