La porte monumentale de Froeschwiller ( Sebastian Münster 1548)
(à gauche, l'hôpital Saint Jacques)
Jusqu’à leur démolition en 1809 sur décision du Préfet Desportes, [1] la ville de Rouffach disposait de trois portes monumentales qui protégeaient les trois entrées principales :
- .au sud, la porte de Cernay ou Rheingrafenthor
- .au nord, la porte de Colmar ou Neuthor, la Porte Neuve
- .à l’est, la porte de Brisach ou Froeschwiller Thor
Il faut rajouter
- la porte Riss, Rissthor qui donne vers le château d’Isembourg
- la poterne de la rue de …la Poterne ou Thörleingasse
Depuis que je m’intéresse à l’histoire de Rouffach j’ai cherché à connaître la signification et l’origine de ces noms que nous utilisons très couramment dès que nous parlons du passé de la cité. Sauf évidemment pour la petite porte de la poterne, Thörlin, je n’ai jamais obtenu de réponse satisfaisante.
Pour ce qui est de la porte de Froeschwiller, les historiens interrogés ont éludé la question ou répondu de façon très évasive : un village disparu… Où, quand, pourquoi ? rien !
Il restait à chercher dans les documents écrits. Et là, on se tourne naturellement vers la « Bible », les ouvrages de Thiébaut Walter, maire et historien de Rouffach.
Mais si Walter utilise évidemment souvent le mot Froeschwiller, ce n’est que pour parler de la porte de Froeschwiller. Rien sur ce supposé village disparu : il ne le mentionne dans les index, ni sous Örtlichkeiten ni sous Flurnamen..
Il reste à se tourner vers les archives anciennes. Et là, rien non plus : les plus de quatre cents chartes sur parchemins d’avant 1440 ne nous apprennent rien. Tout au plus que Rouffach comptait parmi ses habitants un nommé Froesch, mentionné deux fois en 1368 et 1369 et une Else (Elisabeth) Froeschin en 1437 !
Et dans la littérature et notamment les chroniques anciennes, (Materne Berler) rien non plus, à ma connaissance.
Nous avons retrouvé assez récemment dans les archives de la paroisse de Rouffach les deux tomes manuscrits de Documenta Collecta d'Appolinaire Freyburger, (1813-1901). Il s’agit une collection de textes, chartes anciennes, correspondances diverses, notes éparses… concernant en grande partie l’historique de l’administration de la paroisse de Rouffach, doyennés, chapellenies, bénéfices ecclésiastiques, confréries pieuses, anniversaires fondés, exercices spirituels…
En parcourant récemment ces pages, je me suis arrêté sur une petite note qui m’avait échappée jusqu’alors et que je livre au lecteur :
Note de bas de page, page 54 tome 1 :
Voici les noms des trois portes de la ville : Reihngraffen, Neuthor, (à l’entrée et au sortir de la ville, sur la route de Cernay à Colmar) et Fröschwiller Thor, près de l’hôpital de saint Jacques. Le nom de cette porte provient d’un village de ce nom, situé au de-là de la Lauch, près du puits qui existe encore aux champs dits : Brunnen Feld ; on y trouve encore des fondements. Le village fut détruit par les Armagnacs (1444).
Que le nom était celui d’un village disparu, nous n’en doutions pas. Mais que ce village était situé au-delà de la Lauch, voilà une information qui était intéressante… et situé sur un champ appelé Brunnen Feld , le champ du puits, c’était encore mieux. J’ai aussitôt appelé les services du cadastre de la mairie qui m’ont informé très aimablement que ce lieu-dit existait toujours et figurait au cadastre, section 75 parcelle 8, sous le nom Brunnfeld, entre les lieux-dits Voegelewasen et Hummelmuehle...
Je me suis rendu sur les lieux, route des Cerisiers, la route de Niederentzen, et j’ai trouvé, au bord d’un chemin agricole, un puits, au milieu de nulle part !
Le puits du Brunfeld ou Brunnen Feld
Un puits un peu cabossé et de guingois, déplacé il y a une trentaine d’années pour un projet rapidement abandonné ! Dans cette péripétie, disparut la partie inférieure du fût, un cylindre monolithe en grès, pourtant d’un volume et d’un poids considérables… Depuis, reposé à la hâte, ce puits attend une hypothétique remise en état. Dommage ! S’il est véritablement le seul témoin du site de Froeschwiller, il aurait mérité davantage d’attention…
Pourtant, ce puits est bien connu des rouffachois, promeneurs, cyclistes notamment, et demeure enveloppé d’histoires et de drames dont il aurait été témoin.
Ce village disparu aurait été détruit par les Armagnacs en 1444. Au cours de son histoire, Rouffach a subi bien des attaques et des destructions ; dans sa Topographia (1663) Matthäus Merian nous rappelle ces dramatiques épisodes :
… Anno 1347 ward das Hungertuch gemacht, dass man in der Fasten in der Kirchen auffhenckt, wegen der damaligen grossen Hungersnoth. Anno 1364 und 1374 ist Rufach von den Engelländern, und Anno 1426 von den Ungarn verwüstet worden. Anno 1444, nahmen’s die Armeniaken ein, plünderten und verbranden es…
En 1347 on confectionna le Hungertuch que l’on exposait dans l’église au temps du Carême à cause de la grande famine qui régnait en ces temps. En 1364 et 1374, Rouffach a été saccagée par les Anglais et en 1426 par les Hongrois. En 1444 les Armagnacs s’emparèrent de la ville, la pillèrent et la brûlèrent…
Il n’est pas étonnant qu’une petite agglomération, située loin de la ville et ne disposant d’aucun moyen de défense, ait pu être totalement anéantie par les troupes armées et effacée des mémoires. Restait un nom, Froeschwiller.
Mais ne nous enthousiasmons pas trop : l’existence de ce village, à cet endroit, reste cependant une hypothèse, malheureusement Appolinaire Freyburger ne cite pas ses sources. A-t-il répété une tradition orale ? En l’absence d’autres éléments archéologiques et de documents écrits, restons prudents…
Le lieu continuera de faire rêver, avec sa vue sur la ville, l’église Notre-Dame, les collines du vignoble et les Vosges, en arrière-plan…
Gérard Michel
[1] Le préfet Desportes, destructeur des portes…
Nicolas Félix Desportes qu'on avait affublé de ce surnom méprisant, était préfet du Haut-Rhin de 1802 à 1813 et il devait ce sobriquet à l'acharnement dont il faisait preuve auprès des municipalités à faire démolir les remparts entourant les villes fortifiées et leurs portes monumentales.
Notes:
Il existait un autre Froeschwiller, dans le Sundgau, situé à côté de Deckwiller, près de Reiningue: les deux villages ont disparu.
Dans le Bas-Rhin, Froeschwiller fut le cadre de la bataille de Froeschwiller-Woerth qui scella le sort de l'Alsace, le 6 août 1870
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