Dessin de Jean-Baptiste Schacre, Architecte (Delle 1808 - Mulhouse 1876)
En matière d’histoire, il est nécessaire de revenir souvent sur ce qu’on a écrit : ce qui semble vrai aujourd’hui, ne le sera peut-être plus demain... Il suffit d’une découverte dans un document écrit ou sur le terrain, une petite note ou une image, pour mettre en cause ce qui paraissait une certitude quelque temps auparavant. L’histoire bouge constamment, on pense parfois que tout a été dit sur tel ou tel autre sujet et on découvre qu’il reste encore bien des choses à dire.
Bien sûr, certaines découvertes ne vont pas bouleverser ce que nous savions jusque-là, et la mise au point que je propose dans l’article qui suit ne va pas provoquer « d’effet papillon » et déclencher un tollé parmi les historiens… [1]
Dans cet article je reviens sur un article édité le 3 juin 2019 intitulé Le nouveau maître-autel de N.D. de Rouffach, ancien maître-autel des Dominicains de Colmar.
Voilà ce que j’écrivais en 2019, reproduisant scrupuleusement l’original du document, tiré d'une collection particulière:
L’ancien maître autel de l’église paroissiale de cette ville de Rouffach aÿant été, de même que les autres, non seulement dévastés mais brûlés, par l’effet de la Révolution qui fut en son comble dans les années 1792 et 1793, celui-ci a été acheté au mois de Thermidor an XII ( août 1803 :) du maire de la ville de Colmar par celui de Rouffach. Ce fut le maître-autel des ci-devant Dominiquains à Colmar. Il a été conduit en cette ville par les Laboureurs d’ÿ-celle, par corvée.
En même temps les bancs et confessionnaux ont été reconstruits en neuf et l’Eglise blanchie.
Il y a peu de temps, j’ai découvert dans le registre des comptes-rendus de délibérations des Conseils de Fabrique, le document suivant :
Autorisation pour vendre le maître-autel.
Délibération du 24 avril 1870
L’an mil huit cent soixante et dix, le vingt-quatre avril (dimanche de Quasimodo) en la maison curiale à Rouffach, lieu ordinaire des séances, se sont présenté M.M. Triponel Valentin [2], président, Stoecklé Joseph [3], curé, Dietrich Aloyse [4], maire, Callinet Ignace et Moser Louis, membres de droit, Lenck Désiré, trésorier et Wilhelm Aimé, secrétaire, composant le conseil de fabrique de l’église paroissiale de Rouffach et réunis en session ordinaire […]
Attendu que les grandes réparations, consolidations et achèvement de l’église paroissiale de Rouffach ont nécessité la démolition du maître-autel, sauf toutes fois la table et le tabernacle, attendu d’ailleurs que le maître-autel est loin de convenir au style du monument, que les pièces démontées se trouvent dispersées et placées dans les greniers du presbytère et susceptibles de détériorations, que d’ailleurs ce maître-autel, dans le cas même où il aurait pu convenir quant au style de l’église, nécessiterait d’immenses réparations vu son endommagement à raison de sa vétusté,
... le Conseil de Fabrique, tout en conservant premièrement la table et le tabernacle, a jugé prudent de mettre à profit les autres parties de l’autel pour laquelle il a été offert une somme de cinq cents francs, avec d’autant plus de motifs que l’autel a été placé dans cette église il y a près de soixante années et provenait des Unterlinden de Colmar pour une somme de 1200 à 1400 francs au plus.
[…] le Conseil, après avoir pris l’avis de l’évêché et obtenu son approbation, autorise le trésorier à vendre ces débris au pris de cinq cents francs
Signatures :
Triponel, Mosser, Stoecklé, Lenck, Wilhelm
Dans ce compte-rendu, il est question de la vente, en 1870, de ce qui subsiste du maître-autel de l’église paroissiale, fortement endommagé lors des « grandes réparations, consolidations et achèvement de l’église paroissiale ». Le texte précise que cet autel avait été mis en place il y a près de soixante années (il avait été acheté et livré en 1803…). Cette petite erreur de 7 ans n’est pas très grave, mais ce qui interpelle, c’est qu’il est dit dans le premier document que « ce fut le maître-autel des ci-devant Dominiquains à Colmar » et dans le second, qu’il provenait des Unterlinden de Colmar… Les deux monastères appartiennent à l’ordre des Prêcheurs ou des Frères, plus connu sous le nom d’ordre dominicain : les religieux du couvent des dominicains sont des dominicains et les religieuses du convent Unterlinden sont des dominicaines. Alors cet autel, d’où provient-il ? Des Dominicains, dont les bâtiments conventuels abritent aujourd’hui la Bibliothèque patrimoniale des Dominicains et l’église la Vierge au Buisson de roses de Martin Schongauer ? De l’ancien couvent des dominicaines, dont les bâtiments abritent le Musée d’Unterlinden et la chapelle le Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald ?
Pour l’instant, il n’y a pas de réponse… Peut-être que dans l’esprit du greffier, le mot dominiquains désignait l’ordre, et recouvrait dominicains et dominicaines ? La désignation utilisée dans le document de 1870, Unterlinden, est, elle, précise, et sans ambiguïté.
Comme dit plus haut, cette mise au point ne changera pas le cours de l’histoire! Ce n’est qu’un tout petit battement d’aile de papillon ! Espérons toutefois qu’elle ne ruinera pas l'éventuelle thèse d’un malheureux étudiant en master ou doctorat d’histoire qui aurait choisi pour sujet l’histoire de ce maître autel de Rouffach ! Mais ce ne doit pas être un sujet très couru !
Plus sérieusement: il y aurait dans les réserves du Musée du Bailliage de Rouffach une porte de tabernacle, de style baroque, dont la provenance resterait inconnue : je ne l'ai jamais vue, peut-être que cette modeste contribution pourrait permettre une petite avancée ?
Gérard Michel
Notes:
[1] Effet papillon : La formulation exacte qui en est à l'origine fut exprimée par Edward Norton Lorenz, météorologue américain, lors d'une conférence scientifique en 1972, dont le titre était :
« Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
[2] Triponel Jacques-Valentin : né en 1804, conseiller d'arrondissement, docteur en médecine, conseiller municipal de Rouffach
[3] François Joseph Stœcklé, 1799 – 1871, curé de Rouffach de 1846 à son décès en 1871, député du Haut-Rhin du 23 avril 1848 au 26 mai 1849 à l’Assemblée nationale constituante Deuxième République
[4] Dietrich Aloyse, propriétaire teinturier et maire de la ville de Rouffach de 1848 à 1870
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