Dans le présent article, je propose une anecdote personnelle, une fois n'est pas coutume, qui intéresse cependant le patrimoine de Rouffach: il s'agit de ma rencontre avec un tableau, ou plutôt deux tableaux, conservés au musée Unterlinden de Colmar: La sainte Famille au repos pendant la fuite en Egypte et La sainte Parenté, de l'église des Récollets de Rouffach.
La sainte Famille au repos pendant la fuite en Egypte et La sainte Parenté, de l'église des Récollets de Rouffach.
Enfant, j'ai toujours dessiné et, adolescent, je rêvais secrètement faire de la peinture mon métier... De 1957 à 1960, j’ai eu la chance et l’honneur de compter au nombre des élèves de Robert GALL (1904-1974), peintre colmarien bien connu. Notre terrain d’exercice était, entre autres, la chapelle Saint PIERRE et le Musée UNTERLINDEN : Robert Gall nous faisait reproduire inlassablement des détails de moulures de meubles alsaciens, des motifs de décorations, des embases et des chapiteaux de colonnes, des bustes en plâtre et des poteries anciennes…
Un jour il m’emmène dans une des salles du rez-de-chaussée du musée Unterlinden, me plante devant un panneau représentant une scène religieuse et me demande :
Dü besch vu Ruffàch, wàs g’séhsch do druff ?
Toi qui es de Rouffach, tu vois quoi là-dessus?
Je ne voyais évidemment rien que de très banal, j’habitais Rouffach depuis quelques mois, j’avais à peine dix-huit ans et ce tableau n’évoquait rien pour moi en rapport avec Rouffach.
Et il m’a expliqué, longuement, en détail: les remparts, l'hôtel de ville qui comprenait déjà son deuxième corps, l'église Notre-Dame de Rouffach, le château d'Isenbourg... On était loin des paysages conventionnels en usage dans les arrières-plans de la peinture du dix-septième siècle...
Peu de temps après, ce tableau est reparti dans les réserves d’où, je crois, il est très peu sorti par la suite... Pour l'exposition, il était disposé de telle façon qu’on pouvait en voir les deux faces, l’une représentant le Repos pendant la fuite en Egypte, l’autre la Sainte Parenté.
L'envers du panneau: La Sainte Parenté de l'église des Récollets de Rouffach
Bien plus tard, en 1986/87, nous avons enregistré avec la Chorale Sainte Cécile de Rouffach une cassette (il n’y avait pas encore de CD à l’époque), de chants de Noëls alsaciens, Chantons Noël . Quand il s’est agi de choisir une image pour la jaquette de cette cassette, je me suis souvenu de ce tableau que j’avais découvert il y avait bien longtemps et qui, avec cet arrière-plan du vieux Rouffach et cette Sainte Famille au repos me semblait bien convenir à mon projet. J’ai parlé du projet au conservateur du Musée Unterlinden qui a demandé au photographe du Musée, Octave ZIMMERMANN, d’abord de sortir le tableau de la réserve et d’en réaliser une série d’Ektas grand format que j’ai achetés et que je conserve toujours précieusement, en excellent état. J’ai également fait les démarches pour obtenir les droits de reproduction et de publication nécessaires, qui m’ont été accordés. La cassette et l'image, ont été largement diffusées dans les familles de Rouffach et des environs.
Plus tard, je me suis souvent servi de cette image dans les présentations vidéo de mes conférences pour la Société d’Histoire de Rouffach.
En novembre 1989, le 18 et le 19, nous nous sommes rendus, mon épouse et moi à Bruxelles pour y découvrir le Musée instrumental et les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Après une journée harassante de visite du département d’Art Ancien, peu avant la fermeture, au dernier étage où figurent des œuvres dites mineures, j’ai découvert par un hasard tout à fait miraculeux (en m’arrêtant dans une embrasure de fenêtre pour y lacer une chaussure défaite…) un tableau d’ Abel GRIMMER (1570-1619) Jésus chez Marthe et Marie. Ce tableau représentait un intérieur, sur les murs duquel étaient accrochés six tableaux. Et, sur l’un des murs, accroché au-dessus d’une console, je découvre le tableau de COLMAR, La sainte famille au repos !
Abel GRIMMER (1570-1619) Jésus chez Marthe et Marie
Redescendu à l’accueil, j’ai demandé si, par le plus grand des hasards, il était possible d’acquérir une photo de ce tableau. Il n’y avait pas encore d’appareil numérique et je crois bien que photographier était interdit. En un clic on me trouve la photo, (en noir et blanc) et je repars avec, tout excité de ma découverte.
Abel GRIMMER Jésus chez Marthe et Marie (détail)
Dès le lendemain de notre retour, j’ai voulu rencontrer la conservatrice du Musée de Colmar pour lui faire part de l’anecdote : là, on m’a poliment fait comprendre qu’on ne dérangeait pas une conservatrice d’un tel musée pour si peu !
Si on ne voulait pas de moi à Colmar, on m’écouterait peut-être à Bruxelles ?
J’ai écrit à la conservatrice du Musée d’Art Ancien, Françoise ROBERTS-JONES, lui racontant mon aventure bruxelloise et en joignant une photo de La fuite en Egypte du musée de Colmar. Quelque temps après, j’ai reçu sa réponse :
Jan Sadeler I: (1550-1600) Le repos pendant la fuite en Egypte Gravure, Graphische Sammlung Albertina Vienne
Peu de temps après, Madame Françoise ROBERTS-JONES m’a fait parvenir un tiré à part extrait de sa thèse:
Ce tableau de Rouffach, comme beaucoup d'autres de cette époque, est réalisé par un peintre qui reproduit, interprète et met en couleurs une scène tirée de l'un de ces nombreux catalogues de scènes religieuses-type qui circulaient à cette époque chez les peintres. Ces mêmes catalogues proposaient également des portraits-types des personnages habituels des scènes religieuses, saint Joseph, le Christ, saint Jean, saint Jean-Baptiste, qui finissaient ainsi par se ressembler d'un tableau à l'autre, ce qui permettait à l'observateur de les identifier aisément. Dans le cas du tableau de Rouffach, l’artiste qui reste inconnu, s'est inspiré d'une image de l'un de ces catalogues pour camper le personnage central de saint Joseph dans une attitude que l'on retrouve dans d'autres œuvres, la Vierge elle-même "pose" dans une posture très classique également, les deux personnages étant placés dans un décor sans doute suggéré ou imposé par le client commanditaire, ici une vue assez fidèle de Rouffach de la première moitié du dix-septième siècle.
Pour ce qui est de La sainte Parenté qui se trouve au verso de La sainte famille au repos, voilà ce qu'en dit le catalogue du Musée d'Unterlinden, édité par la société Schongauer en 1964:
" Maître inconnu. Peint sur bois (sapin) à l'huile; fond d'or, gaufré et repoussé. Fin XVème siècle. Hauteur: 1,224 m. Largeur: 1,106 m.
Sainte Anne présente une poire à l'Enfant qui, trépignant d'impatience, cherche à la saisir. La Vierge sourit à la scène. Deux anges encadrent le groupe: l'un joue du violon, l'autre du luth. Au premier plan, avec leurs armes, les donateurs, agenouillés, les mains jointes pour la prière: Walter d'Andlau, bailli de l'évêque de Strasbourg, armé de toutes pièces et son épouse, Suzanne de Staufenberg."
Ce tableau aurait été attribué à Mathis Nithard, Grunewald, ce qui serait une erreur. Le panneau est attribué à Hans HUTER,(né vers 1450, mort vers 1500) "...sans doute compagnon d'atelier d'Isenmannn, encore que son art s'apparente au style de Schongauer."
Photos:
- Octave ZIMMERMANN Musée Unterlinden de Colmar
- Institut royal du Patrimoine historique Bruxelles
- Graphische Sammlung Albertina Vienne
Bibliographie:
- Le Musée Unterlinden de Colmar, Sculptures et peintures de l'Alsace romaine à la Renaissance Colmar Société Schongauer 1964
Gérard Michel novembre 2018