Ancien couvent des dominicains, actuelle Bibliothèque des Dominicains de Colmar.
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Les Annales et la chronique des Dominicains de Colmar (1211 à 1303)
par Charles Gérard, avocat à ma cour impériale de Colmar1814-1877 et J.Liblin directeur de la Revue d’Alsace
Edition complète d’après le manuscrit de la bibliothèque royale de Stuttgart, avec traduction en regard, notes et éclaircissements à Colmar 1854
L’œuvre des Dominicains de Colmar a été écrite au 13ème siècle. Elle constitue un des monuments importants de l’histoire de l’Allemagne pendant le Moyen-Âge et, sans contredit, le document capital de l’histoire de notre province pendant la période à laquelle elle se réfère (1211-1303).
Nous nous intéresserons surtout à la première partie de l'ouvrage qui, « sous forme d’annales, indique plutôt les événements qu’elle ne les raconte. La chronologie en est souvent défectueuse et les mentions géographiques inexactes ou obscures. Précieuse, au point de vue des faits généraux, elle est particulièrement curieuse de l’abondance ces détails qui intéressent l’histoire des mœurs, par les observations météorologiques, par les renseignements qu’elle nous a conservés sur les familles alsaciennes, sur les querelles et les désordres du régime féodal, sur l’origine des châteaux et de quelques monastères… et sur les longues guerres qui ont eu l’Alsace pour théâtre. » (dans l'introduction de l'édition Charles Gérard de 1854)
J’ai recherché, dans les 400 pages du livre, celles qui comportent une mention sur Rouffach et Suntheim : la mise en page de l’ouvrage présente sur la page de gauche le texte original en latin et sur la page de droite la traduction en français, face à face. Le lecteur trouvera ci-dessous le texte français, je lui épargne la version latine qu’il trouvera aisément sur Internet!
1246 : Il y eut un combat à Feldkirch, près de Colmar
Ce combat eut lieu le 14 septembre entre les bourgeois de Rouffach et ceux de Colmar. Rouffach, ville des domaines de l’évêché de Strasbourg, s’était mise du parti de l’évêque Henri de Stahleck contre l’empereur Frédéric II, tandis que Colmar qui n’avait reçu que des faveurs de l’empereur était restée passionnément attachée à ses intérêts, malgré la déposition et l’excommunication prononcées contre lui au concile de Lyon. Le théâtre de ce combat doit être placé dans la partie de la plaine qui s’étend devant le village de Wettolsheim. Il existait en cet endroit et absolument isolée dans les champs, une église (Feldkirch) dont la tradition populaire fait remonter l’origine à l’établissement du christianisme.
1248 : Les habitants de Rouffach défirent ceux de Colmar et en prirent un grand nombre
1253 : Les sœurs de l’ordre des Prêcheurs de Hüseren[1] se retirent à Pfaffenheim ; ce sont maintenant celles de Clingenthal [2]
1260 : La cité de Rouffach est incendiée.
1272 : Il y eut un grand froid pendant trois semaines et surtout dans les trois jours avant la nativité du Seigneur. Le sang du Seigneur se congelait avant l’élévation de l’hostie. Une fontaine gela à Soultzmatt et un puits à Rouffach. Mais le froid cessa le jour de La Nativité du Seigneur (25 décembre)
1274 : Un jeune homme qui avait violé une fille, est enterré vif à Colmar.
La vendange commença à la saint Martin (11 novembre)
L’évêque de Strasbourg enjoignit à son prévôt de Rouffach de confisquer les biens de l’abbaye de Marbach et de payer ses dettes, l’abbé et les chanoines ne pouvant s’accorder pour le paiement ce ces dettes.
1275 : Grande neige… Vers Rouffach, les chevaux pouvaient à peine marcher ; vers Berne et Moutiers elle avait une épaisseur de quatre pieds.
1276 : A Soultz, près de Rouffach, on fit bouillir un faux monnayeur, domestique du seigneur Jean de Jungholtz
A Soultzmatt une chèvre mit bas quatre chevreaux.
1278 : L’évêque de Strasbourg sépara par un fossé le nouveau château de Rouffach de l’ancien.
L’église des seigneurs de l’ordre teutonique, à Suntheim, est consacrée de nouveau, la veille de Ste Agnès.
A Rouffach une certaine sœur fut accusée d’avoir baptisé une image de cire. Comme elle niait ce méfait, les paysans la menèrent hors de ville et l’auraient brûlée vives si les frères dominicains ne l’avaient délivrée de leurs mains.
Un certain clerc vola deux calices à Gundolsheim, mais il lui fut impossible de les transporter hors du territoire de ce village.
1280 : Aux nones d’avril, le 5 avril, l’évêque de Strasbourg parut à Rouffach à la tête de cent chevaux, et aidé des villes d’Empire, pour châtier le seigneur de Lobegasse qui détenait prisonnier des citoyens de Strasbourg. Pressé par la terreur, ce seigneur se rendit prisonnier et délivra ses captifs.
Le seigneur Henri, évêque de Bâle, acheta le fort qui est situé près de Rouffach. (?)
Le seigneur de Meyenheim fut tué à Pfaffenheim
1282 : Les habitants de Rouffach se concertèrent avec d’autres hommes de l’évêque de Strasbourg et décidèrent de ne plus le servir, à moins qu’il ne leur accordât une certaine somme d’argent.
Pendant l’octave de l’Epiphanie (1 au 8 janvier) il tomba tant de neige que personne ne se souvint de l’avoir vue aussi épaisse, en Alsace, depuis trente ans. On disait aussi que beaucoup de personnes avaient péri de froid dans ces grandes neiges.
Un tilleul fut transplanté dans le cimetière de Rouffach.
1283 : L’évêque de Strasbourg reprit aux habitants de Rouffach les privilèges et franchises qu’il leur avait donnés.
1288 : Une jeune fille juive de Rouffach, grosse d’un vieillard juif, accoucha de quatre enfants.
1289 : Les religieuses de Suntheim achetèrent à Guebwiller un domaine pour cent marcs. (c’est sur ce domaine que fut établi en 1294, selon M. de Golbéry, le couvent dit Engelporten, Porte des anges.)
1291 : On trouva à Hattstatt une main entièrement conservée, le reste du corps étant putréfié ; cette main était encore dans la pose du serment. Lorsqu’on voulut de nouveau l’inhumer, des gouttes de sang s’en échappèrent, c’est pourquoi on refusa alors de la mettre en terre.
1290 : Les religieuses de Suntheim se transférèrent le 4 des calendes de novembre (29 octobre) dans le couvent qu’elles s’étaient construit à Guebwiller
1292 : Le frère Jean, de l’ordre des Mineurs, est tué à Rouffach.
1293 : Les juifs de Rouffach se retirèrent à Colmar, par crainte de l’évêque, et les usuriers de Guebwiller furent honteusement emprisonnés par l’abbé de Murbach.
Le 15 des calendes de septembre (18 août) le chevalier de Zedeler fut traitreusement tué par les Lobegasse, à Rouffach.
1294 : A Rouffach, le jaune d’un œuf qui avait été cuit, fut changé en une figure humaine.
1297 : L’année précédente, un juif convaincu de vol, fut pendu par les pieds à Soultzmatt ; il vécut en cet état pendant huit jours et parvint, en s’élevant au-dessus du gibet, à se soustraire à son supplice ; mais les meurtrissures de ses pieds l‘empêchèrent de se sauver.
1298 : A la fête de saint Barnabé apôtre (11 juin) le roi Adolphe leva le siège devant Rouffach et se porta devant Eguisheim.
Pendant que le roi Adolphe tenait Rouffach assiégé, on vit sortir, en un seul jour, de la ville de Colmar, 800 chars et chariots à deux chevaux.
Aux ides de février (13 février) les Colmariens sortirent de leur ville en armes, pour ravager les domaines de l’évêque de Strasbourg ; le comte de Ferrette, landvogt impérial, se joignit à eux avec plusieurs milliers de paysans. Ils dévastèrent par le feu la vallée de Soultzmatt, Suntheim et d’autres villages et trois cimetières ; ils s’emparèrent de Sainte Croix, après avoir forcé ses défenses.
1299 : Le seigneur évêque de Strasbourg imposa de nouvelles charges aux habitants de Rouffach ; celui qui, l’année précédente, avait payé une livre, fut taxé, cette année à un marc ; et chacun fut forcé de donner autant de marcs qu’il payait l’année précédente, de livres ; l’évêque força, en outre, Conrad Wernher de Hattstatt à lui faire volontairement don de Hattstatt et de ses autres possessions.
1301 : 14 décembre… on décapita un jeune homme qui avait assassiné le fils de sa marâtre, crime pour lequel il avait été banni de la ville. Sa femme était allée demeurer à Rouffach. Lorsqu’elle apprit que son mai avait été arrêté à Colmar, elle mourut de douleur.
1302 : Le 9 des calendes de février et le jour suivant (24 et 25 janvier) les vignes et la plus grande partie des blés périrent. Le vin fut aigre et faible, et vers la saint Martin le quartier se vendait deux sols. On pouvait à peine acheter du vin vieux à raison de 32 deniers. Il n’y eut pas de froid durant cet hiver, si ce n’est ces deux jours. L’été suivant il ne fit non plus chaud que deux jours, dans lesquels deux hommes périrent près de Rouffach, suffoqués par l’excès de la chaleur.
1246 -1302 : un demi-siècle au cours duquel la vie à Rouffach et environs ne fut pas toujours un « long fleuve tranquille ». Dans ces annales des Dominicains de Colmar, tout n’est pas toujours à prendre à la lettre, le scribe du monastère a noté les évènements au fur et à mesure que leur récit lui parvenait : il s’intéresse à tout, à l’histoire politique, à la croissance des villes, aux prix, à la météorologie et au climat, aux mœurs des hommes et des oiseaux. Il énonce les faits, de bonne foi, sobrement, sans véritable souci de la chronologie, sans les expliquer ni les détailler, il relate des bruits qui ont couru ou des faits qui lui ont été rapportés par des moines voyageurs ou dont il a eu connaissance au cours de ses propres voyages. La seconde partie, la chronique, est plus organisée : elle renferme le récit détaillé de quelques grands événements du XIIIème siècle avec la biographie de quelques personnages illustres.
A quel usage étaient destinées ces annales : plusieurs annalistes disent qu’ils n’ont écrit que pour leurs frères du cloître ou pour obéir à leur supérieur. La plupart d’entre eux étaient persuadés que leurs livres devaient vivre et mourir comme eux dans la solitude [3].
On peut imaginer qu’elles étaient commentées ou discutées au cours du chapitre quotidien dans la salle capitulaire du couvent…
Parfois, au détour d’une page, le(s) rédacteur(s) livre(nt) quelques rares notes personnelles :
1238 : Je suis entré dans l’ordre des prêcheurs (il est né en 1221)
1261 : Je fus à Paris.
On pose les fondations de notre chœur
1268 : Je fus à Uri le jour de la fête des saints Gordien et Epimaque
Les Annales et la chronique des Dominicains de Colmar sont disponibles en ligne, en particulier sur Münchener DigitalisierungsZentrum .
Notes:
[1] Village disparu dont il ne reste plus que les vestiges de Saint Leonard (dans la montée du Schauenberg)
[2] Klingental A Hüsern, hameau disparu entre Pfaffenheim et le Schauenberg, il existait jadis un couvent de chanoinesses de.Saint-Augustin sous le vocable de saint Léonard. Elles quittèrent Hüsern pour Wehr en Forêt-Noire puis elle s’installèrent à Petit-Bâle où elles construisirent le monastère de Klingenthal.
[3] Joseph MICHAUD Quelques observations sur le caractère et l'esprit des chroniques du Moyen Âge, lues dans la séances publique du 24 avril 1829 par M. Michaud
Gérard Michel
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