Peu de documents sur la construction de l'Eglise Notre Dame de Rouffach sont parvenus jusqu'à nous. Nous vous proposons dans cet article trois textes concernant un contrat passé en 1346 entre la ville de Rouffach et Jean Behem, tailleur de pierres et sculpteur: cette charte sur parchemin conservée aux archives municipales de Rouffach, confie à Jean Behem la direction de l'Oeuvre Notre-Dame de Rouffach et la charge de maître d'oeuvre de l'église.
Les amateurs de paléographie trouveront là trois exercices intéressants, avec trois documents sur le même sujet, de trois mains et trois époques différentes.
Nous rappelons qu'il suffit de cliquer sur le texte pour l'agrandir (un nouveau clic le fera revenir à la dimension initiale).
Dans la transcription de la charte, le lecteur trouvera des mots et des expressions soulignées: il suffit de cliquer sur ces mots pour découvrir une info-bulle dans laquelle le lecteur trouvera une traduction ou un commentaire.
Merci aux lecteurs qui voudront bien nous faire part de leurs observations, toute aide est précieuse et sera bienvenue...
Au dos du parchemin, la note suivante, d’une autre main et plus récente, vraisemblablement écrite par un archiviste, résume le contenu de la charte:
1346 Le Conseil et la bourgeoisie de Rouffach ont reçu et engagé Jean Behem, le tailleur de pierres, comme maître d'oeuvre de l'église Notre-Dame. Ils lui ont promis annuellement dix Ohmen de vin blanc, quatre quartauts de seigle, cinq livres et un salaire de trois schillings pour chaque journée travaillée. Il s'engage à ne pas accepter d'autre tâche pendant ce temps à moins d'en informer (le conseil) trois mois six mois auparavant. Jean Behem a prêté serment (de respecter ces clauses).
Le contrat ne dit pas pour quelle tâche précise Jean Behem a été engagé et on ne sait rien du rôle qu'a joué ce successeur de Woelffelin dans la construction de l'église: en 1346, la façade ouest était terminée et les travaux n'y reprendront qu'au quinzième siècle avec la reprise de la tour sud. On ne note pour 1349 que des travaux de réparation et la recouverture des toits des bas-côtés.
Transcription du texte ci-dessus:
1346
haben der Rath und die Burger zu Rufach
Johannes Behen den Stein Mezen auf und
angenomen für ein Werck Meister des Gottes Haus
und ihm versprochen jährlich zehn Ohmen weisen
Wein, vier Firtel Rockhen, fünf Pfund pfenning
dreÿ Schilling alle Tag so er arbeitet, soll
auch während dieser Zeit kein ander Werckh
annemen oder sole ein halbs Jahr zu
vor Kund machen, über welches genanter
Johannes Behem ein Eÿd abgelegt.
Transcription de la charte:
Wir, der Rat und die Burger von Rufach tunt kunt allen den die disen Brief sehent oder hörent
lesen, daz wir, Meister Johannes Behem den Steymetzen emphangen und genommen hant einhellecliche ze
eime Wergmeister unsers Gotzhuses Werg ze Rufach, ze pflegende, und daz Gotzhus daz Werg
und den Bu getruweliche ze besorgende und ze versehende und daz wegeste ze tunde als verre er von
Kunsten und Witzen kan und mag. Und sol daz tun bi gesworenem Eide den er dar umbe hat getan
mit ufgehebten Hant und mit gestabeten Worten ane alle Geferde . Und dar umbe hant wir im gelobt
ze gebende ierliche zehen Amen wisses Wines ze sante Martins Messe, vier Viertel Rogken zwischent
den zwein Messen unserre Frowen der Erren und der Jungern. Funf Phunt pheninge genger und geber müntze ze der Munze die gepreilich in baseler Bistum ze
Ostern umbe ein gewant drie Schillinge der vorgenanten Munze ze Lone alle Tage so er werket. Und als digke ein
Bret lidig wirt, darnach man howet, also das man sin nit me bedarf ze unserme Werke dar nach ze howende
als digke sol unser Lonmeister im zehen Schillinge Phennige geben der vorgenanter Munze. Was och Rusteholtzes und Bogenstal.
ist daz sol sin sin. Und die Steyne die dem Gotzhuse nit Nutze sint und undverfenglich ze verwerkende, ane alle Geverde , die sol er haben als sine Vorvarn als es da har kommen ist . Und sol sich bi dem vorgenanten
Eide keins andern Rehten oder endelichen Werkes an nemmen noch underwinden es si denne unser gut Wille und das
wurs im erlobent. Geschehe och daz er durch sinen Nutz und Besserunge ein ander Werg emphahen wolte
daz sol er uns ein halp Jar vor hin kunt tun, und sol uns helfen und raten des besten so er kann,
daz uns ein Wergmeister werde, der uns und dem Gotzhuse Nutze si und wol komme.
Duc(h)te aber uns daz er bede Werg wol möchte behaben und ir gephlegen ane unsers Gotzhuses und Werkes schaden, das mag
er wol tun ist das wirs im gönnent, ane Geverde. Und ich Johannes Behem der vorgenante Wergmeister
urgihe aller der Dinge die da vor von mir geschriben stant. und gelobe su bi geswornem Eide den ich dar
umbe han getan ze den Heiligen, mit ufgehebter Hant und mit gestabeten Worten stete ze habende und in niemer
da wider ze tunde mit Worten oder mit Werken in deheine Wis ane alle Geverde. Und har uber ze eime
steten offenen Urkunde dirre vorgeschribenen Dinge, so hant wir der Rat und die Burger da
vorgenant, unsere stette Ingesigel von Rufach gehenket an disen Brief. Der waret geben an dem
Zistage nach sante Johannes tag ze Sunegihten , des Jars da man zalte von Gotz geburte Drützehen
hundert, viertzig und sechs Jar.
Dans la même enveloppe figure également une retranscription d’une partie du document de 1346, sur papier, écriture gothique du 19ème, début 20ème: Walter?
Nous, Conseil et bourgeois de Rouffach, faisons savoir à tous ceux qui liront cette charte ou l'entendront lire, que nous avons reçu et accepté à l'unanimité Maître Jean Behem comme maître d'œuvre à l'œuvre Notre-Dame afin qu'il veille à son administration, qu'il exerce sa charge fidèlement et qu'il y applique au mieux son art et son savoir. Pour cela il a juré en levant la main et en répétant fidèlement les mots du serment, sans fourberie. Pour sa tâche, nous avons promis de lui donner dix Ohmen de vin blanc, tous les ans à la Saint Martin, quatre quartauts de seigle que nous lui donnerons "zwischent den zwei Messen unseren Frowen der Erren und der Jungeren" *et cinq livres en monnaie valable et de bon aloi à Pâques pour l'achat d'un habit ainsi que trois schillings de salaire pour chaque jour ouvré....
* la traduction de ce passage me pose problème: entre les deux messes en l'honneur de Notre-Dame et des apôtres...
Quelles ont ces deux messes, que signifie Erren? ( Ehren, en l'honneur de ou Herren?), quel rapport avec les apôtres (Jungeren)? Je remercie le lecteur qui aura trouvé la solution et voudra bien me la communiquer...
Une lectrice, archiviste de la ville d'Obernai, est venue à mon secours en me renvoyant à l'ouvrage de Grotefend, un usuel incontournable dont j'avais pourtant noté les références dans la page Aller plus loin, et que je n'ai pas pensé à consulter. Le lecteur trouvera ici une meilleure référence de cet ouvrage: Zeitrechnung des Deutschen Mittelalters und der Neuzeit von Dr. H. Grotefend HTML - Version von Dr. H. Ruth. facile d'accès et d'utilisation.
Dans Grotefend, l'article sur Frauentag est très complet, mais pour ce qui concerne notre question, une seule citation datée de 1473 suffit à apporter la réponse: "zwischen den zweyen festen unser lieben frauen tagen assumptio und nativitas...", c'est à dire: entre les deux fêtes de la Vierge, la première, la fête de l'Assomption de la Vierge et la seconde, la Nativité de la Vierge, donc entre le 15 août et le 8 septembre. Erren se retrouve sous d'autres formes comme ersten, erere ou eren, et jungeren que l'on retrouve aussi sous la forme jungisten n'a évidemment aucun rapport avec apôtre!
Ce laps de temps est un temps d'échéances, échéances de prêts, échéances de paiements, de réalisations de travaux,etc. à l'instar d'autres fêtes comme la Saint Martin ou les jours des solstices... il semblerait que l'usage de cette formule soit très fréquente, mais pour ma part je ne l'avais jamais rencontrée. Merci à notre lectrice d'Obernai.
Voilà un contrat établi entre une ville et un maître d'oeuvre qui signe la responsabilité d'un chantier considérable, puisqu'il s'agit de chantiers d'entretien, de conservation et de restauration de l'église: et ce contrat tient en une petite page! On imagine sans peine l'épaisseur et le nombre de dossiers qu'il faudrait aujourd'hui dans les mêmes circonstances!
Mais en 1346, il a suffi de prêter serment, de jurer la main levée vers le ciel, "one geferde", sans arrières pensées, sans malice, sans intention de frauder: dans ces contrats, tout repose sur la parole donnée et la confiance.
Et les églises ne se sont pas écroulées pour autant...
Gérard Michel 12 septembre 2018