Le serment du bourreau (AMR BB 126 1613)
Nachrichters gefatterschafft. [1]
Sous l'ancien régime, le statut de bourreau est infamant, lui et sa famille sont de mauvaises fréquentations: la charge d'infâmie qui pèse sur le père se transmet à son épouse et ses enfants. Le document qui suit, extrait du compte-rendu d'un Conseil hebdomadaire du Magistrat illustre l'opprobre qui enferme ces familles et les condamne ces à vivre en marge de la société.
Ainsi, il est interdit à l’épouse du bourreau de la Ville d'être marraine de l'enfant d'une famille "honorable" et celui qui lui en fait la demande est puni par la loi ! Jacques Bentelin, le tisserand, est condamné à une amende par le Conseil de la ville, parce qu'il avait demandé à la femme du bourreau d'être la marraine de son enfant!
A.M.R. BB 34 f. 28 v
Compte-rendu du Conseil du Magistrat du 17 mars 1615
Demnach ist heüt vorkhommen, ob sollte Jacob Bentelin, der Weber alhie, des Nachrichters Weib zue Gevatterin gepetten haben, dieweÿlen aber solches vorlangsten beÿ 5 Pfundt Straff verpotten und verkundt worden.
# ist erkhandt das er, Bentelin unserm gnst. Fürsten unnd Herren ein einfachen Freffel,[2] und der Statt auch zu straff aus g. 1 pfundt abrichten unnd erlegen solle.
Traduction:
Il a été rapporté que Jacques Bentelin, le tisserand, aurait sollicité l’épouse du bourreau pour être marraine de leur enfant, bien qu’il soit notoire depuis fort longtemps que cela est interdit et puni d’une amende de 5 livres.
# réponse du Conseil :
Il a été reconnu que Bentelin avait enfreint la loi et qu’il devait payer une amende à notre bien-aimé Seigneur et qu’en punition il devait également s’acquitter d’une amende de 1 livre à payer à la Ville. (la note abrégée aus g. signifie vraisemblablement qu’il s’agit d’une faveur spéciale accordée au tisserand, aus Gnaden… puisque l’amende était fixée à 5 livres)…
Le bourreau, une vie en marge de la vie sociale...
Le bourreau, nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, bénéficie d’un statut particulier dans la société.
Par sa profession, celle d’exécuteur des hautes œuvres et celle d’exécuteur des basses œuvres, équarisseur et éboueur, le bourreau est marginalisé : il est logé hors de la ville ou à sa périphérie, à l’écart de la société et exclu de la vie sociale et bourgeoise. Ses enfants sont exclus de l'enseignement ou de l'apprentissage et ne peuvent exercer d'autres métiers que celui de leur père. Considéré comme impur, il ne peut avoir de contact physique avec les biens matériels, comme toucher des aliments qu’il veut acheter. Le règlement du bourreau de Rouffach de 1613 [3], précise que s’il se rendait dans une auberge, il devait s’installer à une table isolée et éviter tout contact avec les autres clients attablés. Au marché il devait se tenir à l’écart des bourgeois qui procèdent à leurs achats. Si toutefois il arrivait que quelqu’un l’approche, le règlement précise qu‘on laisserait faire ! Il lui est interdit de prendre aucune marchandise dans ses mains avant de l’avoir payée… A l’église, il doit se tenir derrière la porte et ne pas se mêler aux fidèles. De même, il lui est interdit de s’attarder sous les portes de la ville et de se mêler aux passants ! Et tous les membres de sa famille étaient logés à la même enseigne.
C’est ainsi que l’office de bourreau est devenu héréditaire et a abouti à la création de véritables dynasties, comme celle des Ginther ou Günther, bourreaux de Rouffach.
Considérés comme impurs, ni le bourreau ni les membres de sa famille ne pouvaient prétendre à une vie sociale : on se marie entre gens de la même caste et on ne peut pas être admis dans une famille « honorable ». Même demander à l’épouse du bourreau d’être la marraine de son enfant est contraire à la loi et puni d’une amende ! C’est ce qu’ont appris, à leurs dépens, Jacob Bertelin et son épouse…
Quoique craint, le bourreau est respecté : il est Meister, Maître, à chaque fois qu’il est nommé dans un document.
Outre les exécutions, le bourreau était chargé préalablement de tourmenter, de torturer pour obtenir des aveux. Il est présent dans tous les interrogatoires où il procède à la question, et soumet les accusés à la torture, en suivant rigoureusement les instructions du code de procédure. Il doit être capable de déterminer jusqu’à quel point il peut, au cours d’un interrogatoire, poursuivre son office sans provoquer le décès de l’accusé.
Cela suppose qu’il soit expérimenté et habile et qu’il ait de réelles connaissances médicales. Ses connaissances en anatomie font que, bien souvent, il est fait appel à lui plutôt qu’au médecin, pour soigner fractures, luxations, entorses ! Il n’est pas rare également qu'on fasse appel à lui pour soigner d’autres maux : les documents d’archives rapportent les accusations de médecins et d’apothicaires qui se plaignent de concurrence déloyale par le bourreau qui prodiguait des soins, pratiquait la chirurgie et proposait des potions et des onguents à ses patients…
Médecine officielle, conventionnelle, non conventionnelle, complémentaire, alternative, parallèle, le débat aurait-il déjà été d'actualité il y a quatre siècles !
Gérard Michel
Notes:
[1] Gevatterschaft: Patenschaft, parrainage,
die Patenschaft für jn/etw. übernehmen: être parrain, marraine de qqn/qqch
[2] Frevel n.f. délit, violence, amende pour un délit (Himly)
Übermut, Gewalt(tat), böser Wille
Rechtsverletzung
Strafzahlung
[3] A.M.R. BB 126 1613 Eines Henckhers und Nachrichters Aÿdt.
Lecture:
BACHOFFNER (Pierre) : Bourreaux, pharmacie et chirurgie : un problème de santé publique en Alsace au XVe au XIXe siècle. Rev. d'Alsace, n° 119, 1993
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