Intérieur de l'église de Rouffach Engelmann (vers 1830)
Pfarrers Begeren wegen einer leichtfertigen schwangern Hueren… requête du curé auprès du Conseil au sujet d’une fille de joie enceinte…
Le curé dont il s’agit est Carol Pistor dont Th. Walter nous apprend qu’il exerçait son ministère à Rouffach entre 1616 et 1619. Selon lui, il aurait été un véritable « mercenaire », ein echter Mietling ! Après que le conseil lui eut permis de remettre en état tout l’équipement intérieur, Hausrat, de son logement (meubles, vaisselle, ustensiles, luminaires, linge de maison), aux frais de la ville, il disparut sans laisser de traces : en 1619, le registre de la confrérie de la Reit qui consigne le nom des confrères et le montant de leur cotisation, note, en face de son nom : nichts mehr, ist entloffen… plus rien, s’est enfui ! (in Walter Urkunden .Buch der Pfarrei Rufach 1900).
L’extrait du compte-rendu du Conseil qui fait suite, date justement de février 1619. Les termes qui y sont utilisés par le greffier pour désigner ce curé permettent de cerner un peu plus le personnage ou tout au moins de découvrir comment il était ressenti par le Conseil et la population de l’époque.
Carolus Pistorius : le bonhomme a fait des études, il semblerait qu’il fut docteur, en théologie vraisemblablement, et il aime le faire savoir. Il suit une tradition courante de l’époque chez les gradés des Universtités, qui consistait à latiniser son nom : c’est ainsi également qu’à Rouffach Conrad Kürschner (le fourreur, le pelletier) est devenu Pellicanus, et que Conrad WOLFFHART deviendra Conrad Lycosthenes. Et le lecteur connait bien maintenant, grâce aux articles de Jacques Mertzeisen, Johan Ruderauf, le fameux Johannes Remus Quietanus…
Le mot latin pistor désignant le meunier ou le boulanger, notre Carolus Pistorius devait être né, plus prosaïquement, sous le nom de Beck…Un autre Pistorius, tout aussi singulier, est mentionné par Th. Walter dans l'ouvrage cité plus haut: Johannes Pistorius, curé, assassiné le 13 mars 1635 devant une des portes de la ville, par une troupe ennemie... Et un troisième, curé également, Johann Pistorius, vicario ecclesie cathedralis Basiliensis, vicaire à la cathédrale de Bâle, le siècle précédent en 1529.
Il semblerait, d’après le texte, que ce nom latinisé et le titre de docteur dont il aimait sans doute se vanter, agaçait les membres du Conseil, qui le désignent ici par le nom pfaff(e), qui, à cette date, a déjà la nuance péjorative prise après la Réforme et particulièrement avec Luther.
Le greffier municipal ne fait sans doute que transcrire la pensée des membres du Magistrat lorsqu’il écrit unser doctorischen Pfarrer avec une intention ironique, intraduisible en français, mais qui n’échappera pas au lecteur dialecto- ou germanophone : visait-il la mise, l’accoutrement, les manières, le ton, le vocabulaire ? On pense ici inévitablement aux Diafoirus, médecins père et fils, cuistres grandiloquents et finalement reconnus charlatans, du Malade imaginaire de Molière.
Il est également désigné par schwürmerischen Pfaff : le verbe schwurmen ou schwürmen traduit une agitation, une turbulence de l’esprit et du corps, un état d’excitation permanent, comme au sein d’un essaim d’abeilles ! (Grimm : sich durcheinander wirrend bewegen, im schwarm fahren, ziellos schweifen…)
Mais de quoi s‘agit-il, et pour quelles raisons ce personnage singulier apparait-il dans un compte rendu de séance du Magistrat ?
C’est que, par le truchement de Geörg Iber, son vicaire, il a fait demander au Magistrat de Rouffach d’intervenir en faveur d’une fille de joie originaire de Pfaffenheim… Geörg Iber, qui bien entendu se fait appeler Georgius Iberius est mentionné comme Caplan (chapelain) au moment où Paul Aldringer (1619 - 1628) est curé de Rouffach. On le retrouvera en 1632 à Rouffach où il signe coadjutor alors que Jacob Hornung est parochus, curé.
On peut se demander pourquoi Pistorius n’a pas fait lui-même cette démarche auprès du Magistrat et a confié cette mission à son Helffer Ibérius ? Sans doute aura-t-il préféré éviter de se présenter lui-même, se doutant que cela tournerait mal, d’abord à cause des relations qu’il entretenait avec le Conseil et surtout, à cause du sujet de cette démarche.
Et ce sujet, quel est-il ?
Une putain, eine leichtfertige, légère et frivole, Weibsperson, enceinte, dont on ne veut plus dans son village d’origine, Pfaffenheim et pour laquelle le curé Pistorus demande au Conseil de faire preuve de charité en l’accueillant à l’hôpital de la Ville, l’hôpital Saint Jacques.
La réponse du Magistrat, signalée par le signe # Antwort und Bescheidt, est immédiate.
D’abord, le Conseil s’étonne que le curé s’occupe d’une telle affaire et lui suggère qu’il ferait mieux de s’acquitter d’abord de ses propres tâches, à l’église et à sa chaire, plutôt que d’accabler le Conseil et la Ville de charges supplémentaires. De plus il n’avait pas à s’immiscer dans des affaires civiles qui n’étaient pas de son ressort. Par ailleurs, il rappelle que les rentes et les dons que recevait l’hôpital de la Ville n’étaient pas destinés à entretenir des filles de joie !
Là où le vice a été commis, il doit également être puni ou pardonné : le conseil demandera aux officiers du bailliage de prier les gens de Pfaffenheim de venir en aide aux leurs dans leur propre hôpital : si le village les exclut et ne veut pas les garder auprès de leur maître, Valentin Riss, pourquoi la Ville devrait-elle les tolérer ? On devine, dans cette phrase, que les relations entre Rouffach et Pfaffenheim n’étaient pas toujours des plus chaleureuses : de vieilles animosités qui ont duré des siècles et dont se souviennent encore les plus anciens, actuellement !
Je n’ai pas réussi à savoir qui était Valentin Riss, mais sans doute s’agit-il du maître de l’hôpital de Pfaffenheim, le Spitalmeister.
Nous ne connaissons pas la suite de l’affaire. D’ailleurs, y a-t-il eu une suite ? La réponse du Magistrat de Rouffach est nette et définitive.
Qu’adviendra-t-il de la « protégée » du curé Pistorius ? Nous n’en saurons rien…
On peut être étonné par le ton et le vocabulaire employés dans un protocole de Conseil qui se devrait d’être impartial et dénué de toute animosité : mais c’est que le Conseil, excédé par des comportements excessifs du curé, en avait gros sur le cœur. Leur relation avec Pistorius était loin d’être cordiale, au point qu’il était arrivé que le Magistrat et les chefs de tribus avaient porté plainte à la suite des attaques dont ils avaient fait l’objet au cours de sermons, du haut de la chaire de l’église !
Gérard Michel
A.M.R. BB 37 folio 37 Rhatz zusamenkunfft gehalten den 28. Feb. A° 619
Absente: Castner und Streitzfelder
An heut ist Her Geörg IBER [1] der Helffer, aus bevelch
des schwürmerischen [2] Pfaffens, unsers Doctorischen
Pfarrers Caroli PISTORY [3], erschienen, ein leicht//
fertige [4] schwangere Weibsperson, deren von
Pfaffenheim weg gebe(o)tten worden, mit bracht,
anzeigt, es hette der Pfarrer Inem abgeordnent,
zupitten, das man diese Person in Spithal nehmen
und ein Werck der barmhertzigkeit erzeigen wolle.
# Antwort und Bescheidt: es seÿ sich hoch zuverwundern
das der Pfarrer sich dieses Werckhs annheme, sollte
seiner Kirch und Canzel abwarten [5], dem Rhat und gemeiner
Statt kein lasst und beschwerden [6] ufdrechen, weniger
sich in diese weltliche geschefft einmischen, der
Spital seÿe nit für solche leichtfertige hueren gestifft
wo das Laster [7] beschehen, soll es auch gestrafft,
oder Barmherzigkeit erzeigt werden. Möge
also bej den Ambtleuthen pitten, das sie den
Pfaffener befelhen sollen, Irer in Irem Spithal
hilff zuerweisen / Wan das dorff solches
weg bietet / und sie bej Irem Meister Velten Rÿssen nit lassen wöllen,
wie sols die Stat dann leiden.
.../...
Ist also fürgelesen und offentlich fürzuhalten erkant
mit einhelliger Urthel.
Notes:
- [1] Georgius IBERIUS signe en 1632 à Rouffach « Coadjutor » alors que Jacob HORNUNG est « parochus ». Il est également désigné comme « Caplan » au moment où Paul ALDRINGER (1619 - 1628) est curé.
- [2] schwürmerisch: SCHWURMEN, SCHWÜRMEN, verb: sich durcheinander wirrend bewegen, im schwarm fahren, ziellos schweifen
- [3] Carolus PISTORUS 1616 - 1619 scheint ein echter Mietling (un mercenaire) gewesen zu sein. Nachdem der Rat ihm erlaubt hatte mit städtischen Geldern seinen Hausrat in Stand zu setzen, trägt 1619 das Reitregister hinter seinem Namen: „nichts mehr, ist entloffen“ Walter Ur.K.Buch der Pfarrei R.
- [4] leichfertig : légère, frivole
- [5] abwarten : verrichten, s’acquitter de, accomplir...
- [6] Beschwerde : une charge
- [7] das Laster : le vice / lasterhaft : vicieux, immoral, de mœurs dissolues, dépravé, débauché, libertin / der Lästerer : le blasphémateur
Sources:
- Archives municipales de Rouffach: A.M.R. BB 37 folio 37
- Theobald Walter: Urkundenbuch der Pfarrei Rufach Rufach 1900
A.M.R. BB 37 folio 37 / 28 février 1619
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