Les automates de l'horloge médiévale (Photo Thiébaut Walter 1899)
Ces éléments sont aujourd'hui conservés au Musée du Bailliage de Rouffach.
Sur la façade occidentale de Notre-Dame de Rouffach, il a existé, une horloge à jaquemarts, datable de la fin du XVe siècle et démontée en 1859. L'animation s’organisait autour de l’arbre de la connaissance, sur lequel s’enroulait le serpent. De part et d’autre, on voyait Adam et Ève. Cette dernière présentait à son compagnon la fameuse pomme, tandis qu’Adam frappait les heures sur un timbre avec un marteau. A ce moment, un personnage grotesque surnomme d’r Lalli, surgissait d’une fenêtre au-dessus de la scène et tirait la langue.
Un document découvert récemment dans les comptes de la perception de la taille (das Gewerf) entre 1484 et 1528 a relancé mon intérêt pour cette horloge à jacquemarts de la façade ouest de notre église paroissiale. Il s'agit d'un contrat établi entre le Magistrat de la ville et Cunrat Schlosser, pour la réalisation d'une Zitglock à Rouffach, en décembre 1505. Schlosser est-il le nom de ce Conrad ou sa profession, serrurier? Encore en ce début du 16ème siècle, les personnes était souvent désignées par leur seul nom de baptême que l'on faisait suivre du nom de leur profession, Metzger, Muller, Zimmermann, Steinmetz ou Schlosser... Quant au nom qui désigne son ouvrage, Zitglock, un mot formé de Zit, le temps, l'heure et de Glock, la cloche, littéralement la cloche qui donne l'heure, il peut désigner une horloge à jacquemarts ou une horloge publique, dans une tour d'horloge par exemple ou dans une niche du fronton d'un édifice public.
On pourrait donc imaginer que ce document pourrait donner, enfin, la date du jacquemart de l'église Notre-Dame de Rouffach, 1505... sauf que, ce contrat ne précise à aucun moment, à quel édifice était destiné cette Zitglock !
Donc, retour à la case départ! Mais regardons tout de même ce texte de plus près:
La façade ouest de l'église Notre-Dame de Rouffach en 1859
dans L'Alsace photographiée Adolphe BRAUN en 1859 (archives départementales du Haut-Rhin).
Agrandissement de la photographie précédente qui montre le détail du jacquemart encore en place en 1859
Zitglock A.M.R. CC 65, décembre 1505
Texte original:
Transcription du texte original:
Anno XVc V uff Donstag nach sant Paulus Tag der Bekerung, (le 25 janvier)
hat Schultheiß und Radt Cunrat Schlosser die Zit Glocken zu
machen verdingt in Masen wie hie nachvolget: Item er soll die Zit-
glocken von Stund an machen furderlich machen und gut Werschafft
machen und auch sin leptag lang Werschafft thun (en marge: und das in sinen Costen in Eren halten) und auch
das Werck dem Husslin glich in die haüch (ou häuth ou höich ou höith) machen und wan er das
werck ußgemacht, und man erkennen kann das er gut werschafft
gemacht, so soll man Im dann geben was Schultheiß und Radt erkennen
mag da bei soll es auch bliben / das hat Cunrat bi hant gebender
truwen zugeseit und wie wol er XX gulden dann geheischen
und man im daruff alsobar geben VI Gulden / jedoch so soll das Über-
mess nach Volbringung des Wercks zu Erkantniss Schultheiß und Radt ston und also hat Im
Schultheiß und Radt XX Gulden geben / darumb hat er uff Zinstag
nach sant Lucien Tag (13 décembre) anno d° XVcV aber zugeseit sin leptag
lang die gemelte Zitglock in seinem Costen in Eren zu halten
Traduction:
L'année 1505, le jeudi suivant le jour de la Conversion de saint Paul, le Schultheiss et les Conseillers ont passé un contrat avec Conrad pour la réalisation d'une horloge . Les termes de ce contrat stipulent:
- Conrad doit réaliser cette horloge de la meilleure qualité et dans les meilleurs délais.
- Il en garantira le bon fonctionnement toute sa vie et en assurera l'entretien à ses frais.
La suite du texte pose problème, nous n'avons pas réussi à déchiffrer un mot qui peut être haüch ou häuth ou hoïch ni à comprendre ce qu'il peut signifier. Peut-être s'agit-il d'insérer le mécanisme dans un "Husslin", qui ressemblerait à une petite maison?
- Lorsqu'on aura constaté qu'il a bien réalisé son ouvrage on lui paiera ce que le Schultheiss et le Conseil ont jugé bon de lui donner, c'est à dire 20 florins...
Conrad a accepté ce marché en "topant" dans la main de ses partenaires en signe de sa fidélité (truwe = Treue = fidélité)
et commentaires:
Ce texte appelle quelques remarques. Il est extrait, non pas d'un protocole de séance du Magistrat, mais d'un registre de la perception de la taille, das Gewerf, où il se trouve un peu par hasard, caché dans un endroit où on ne le chercherait pas... Ce qui est curieux, c'est qu'à ma connaissance, Th. Walter n'évoque pas cette Zit-Glock et que Pierre Paul Faust, dans son article consacré aux horloges de Notre-Dame n'en fait pas état... Il ne figure pas non plus dans l'inventaire sommaire des archives communales...
Ce contrat date de 1505: tout les chercheurs qui se sont intéressés au jacquemart de la façade ouest datent justement l'ouvrage du tout début du 16ème siècle, sans pourvoir en apporter la preuve par un document d'archive. Cette Zit-Glock de 1505 ne serait-elle pas justement ce jacquemart, à moins qu'il ne s'agisse que de son mécanisme, glissé, intégré, poussé, dans un boitier en forme de Husslin, petite maison, comme on peut en apercevoir sur la photo de Braun de 1859? Il ne s'agit là évidemment que de suppositions, qui en plus reposent sur l'interprétation douteuse d'un passage malaisé à lire... Et surtout, encore une fois, rien ne nous permet de dire que l'ouvrage de Conrad Schlosser était destiné à l'église Notre-Dame!
Le mot Zytglogge a été conservé jusqu'à nos jour pour désigner en dialecte bernois la Tour de l'Horloge à Berne avec son horloge astronomique du XVIᵉ siècle comportant un jacquemart et un carillon. Il s'agit là d'un bâtiment civil et peut-être l'horloge de Cunrat Schlosser était-elle également destinée au fronton d'un bâtiment public de Rouffach.
Les termes de ce contrat nécessitent que l'on s'y attarde: l'horloger ou le serrurier offre une garantie à vie pour son ouvrage! De plus il assurera, sa vie durant, l'entretien de son ouvrage, à ses frais!
A remarquer aussi que le contrat ne fait pas mention de signature ou de sceau: il est dit "das hat Cunrat bi hant gebender truwen zugeseit" , on dirait aujourd'hui que les deux parties ont topé, tapé dans la main du partenaire pour signifier que le marché est conclu ! On peut imaginer ce qu'un tel marché aurait coûté aujourd'hui comme démarches bureaucratiques et surtout comme paperasse... A cette époque, un simple geste suffisait à sceller un contrat, à vie !
Bibliographie
Pierre Paul Faust, Jean Pierre Rieb, « Les horloges de l’église Notre-Dame de Rouffach », Cahiers Alsaciens d’Archéologie, d’Art et d’Histoire, T.47, 2004, p.117-138.
Voir également : http://www.patrimoine-horloge.fr/jacquemarts.html Le lecteur y trouvera notamment l'article de Pierre-Paul Faust et J.P. Rieb sur le jacquemart de Rouffach.
Gérard Michel