Moine cellérier goûtant le vin / fin XIIIème siècle © Britisch Library Londres
Le salaire journalier des ouvriers de la vigne à ROUFFACH
Cet article complète un premier article paru sur le même document : Règlement de la Ville de Rouffach sur la manière de cultiver la vigne Le premier texte qui donne des renseignements précis sur les travaux dans les vignes et les techniques de culture se trouve dans un cahier des droits et coutumes de la ville 1343 - 1527 Ordnung der Stat Rufach die Reben zu buwen daté de 1511(?). Ce règlement précise les salaires qui doivent être versés aux ouvriers pour les travaux à effectuer dans les vignes aux différents moments de l’année. Ces salaires varient selon les travaux, selon la saison et aussi selon qu’il s’agit d’un Knecht ou d’un Knabe [1]:
Ainsi, entre les vendanges et la « alte Fastnacht », un « Knecht » ne doit pas être payé plus de 2 schillings [2] pour une journée de travail, et lui seront fournis la boisson et le repas, mais pas le repas du soir. Sa tâche sera de « schniden [3] » et « gruben [4]», c’est-à-dire tailler et travailler la terre.
Avant la « alte Fastnacht [5]» on pourra donner à un Knecht ce que l’on voudra, mais pas plus de 2 schillings par jour de travail, repas et boisson fournis, sans le repas du soir, pour « binden, biegen, hefften und herbrechen ». On retrouve là les tâches habituelles encore aujourd’hui : arquer les sarments, les lier, les attacher et herbrechen qui signifie briser les serments trop vivaces pour éclaircir le pied.
Ein Knabe, un apprenti, pour les mêmes tâches et aux mêmes périodes, ne pourra toucher pour la journée que 9 Rappen.
Pour « grüben » après la « alte Fastnacht », le Knecht touchera, pour une journée de travail, 3 schillings, avec « essen und drincken bis in das bett », (littéralement : le manger et le boire jusqu’au moment du coucher) c’est-à-dire que le repas du soir, le souper, est inclus.
Pour « stickhen » un « Knecht » ne pourra percevoir que 3 schillings, mais sans le repas du soir.
Par contre, pour « rumen » un « Knecht » ne touchera que 10 Rappen [6], avec les repas et la boisson, mais sans le repas du soir.
Pour « hacken und ruren [7]» travailler la terre avec la houe ou au croc (de jardin), retourner le sol, le bêcher ou le labourer, il touchera 2 schillings, et aura les repas et la boisson « biss in das Bett ».
L’item suivant nous révèle une tâche surprenante qui, elle, n’est plus en usage de nos jours : « nach dem Herbst Stecken üss ziehen » ! il s’agit en fait d’arracher les échalas qui soutenaient les ceps et les sarments qui seront remisés au domicile du propriétaire ou de l’exploitant de la parcelle, pour éviter qu’ils ne pourrissent et qu’ils ne soient volés : il est d’ailleurs interdit, sous peine d’une amende lourde d’une livre à payer à chaque infraction, à ceux qui sont chargés de l’arrachage des échalas, ainsi qu’aux Grüber et aux Sticker de porter hors des parcelles ni échalas ni toute autre pièce de bois !
Ces arracheurs d’échalas ne seront payés que 9 Rappen pour la journée, ils n’auront pas de repas mais par contre du vin, comme il est de tradition depuis toujours… (Il est évident que chaque fois que dans les items précédents était mentionné « trincken », c’est de vin dont il s’agissait…)
Entre le jour de la Saint Gall [8] jusqu’à la Chandeleur [9], on pourra employer un « Knecht » pour toutes sortes de travaux, tant dans les vignes qu’ailleurs, mais on ne lui donnera pas plus qu’un plaphart [10] par jour, ainsi que la nourriture et le vin, « biss in das Bett »…
Ne devient pas vigneron qui veut !
Une ordonnance du magistrat de Colmar, édictée le 2 novembre 1605, rapporté par l’abbé Hanauer dans son ouvrage Etudes économiques sur l’Alsace ancienne et moderne (1876) précise que pour pouvoir être lié par contrat chez un propriétaire ou exploitant (verdingen) il était nécessaire d’être habile et expérimenté et d’avoir satisfait à un certain nombre d’épreuves :
« Tout homme qui veut devenir vigneron (rebman) et entreprendre à forfait la culture des vignes (in verding bauen) devra subir les épreuves suivantes :
- Il doit savoir à quelle espèce appartient chaque pied. Il prouvera en particulier qu’il sait reconnaître et distingue le gentil (edel), le bourgeois (burgers, alias hanisch), l’olber et le rouge.
- Il doit provignier [11] au moins trois pièces, creuser des fosses (gruben) et y planter des chevelus (würtzlin). Il peut creuser les fosses en l’absence des examinateurs (schauwer) mais il plantera sous leurs yeux les chevelus[12] et les échalas.
- Enfin, le candidat devra tailler (schneiden) environ un demi schatz, y enfoncer les échalas et lier la vigne.
Si […] l’avis des juges lui est favorable, les maîtres demanderont au candidat chez qui il a appris la culture des vignes, combien de temps il l’a pratiquée et s’il peut affirmer sur l’honneur qu’il a fait seul et de ses propres mains les travaux exigés par l’épreuve. En cas de réponse satisfaisante, il sera reconnu pour vigneron et déclaré apte à cultiver des vignes à forfait. »
Archives de la ville de Colmar (ce document mainte fois cité en se référant à l’ouvrage de l’abbé Hanauer, existe-t-il encore, et sous la même cote S.E.L. 24, R n°2 ?
Le foulage du vin Heures de Jean de Montluçon (Bourges vers 1490)
Je n’ai pas trouvé pour l’instant de document semblable sur la formation et « examen de passage » avec réalisation d’un chef d’œuvre… dans les archives conservées à Rouffach. Cette épreuve ne concerne bien entendu pas le vigneron qui travaille dans sa propre vigne. Mais elle semble nécessaire, tout au moins à Colmar, pour celui qui souhaite contracter un engagement chez un maître, exploitant ou propriétaire, et elle s’apparente au brevet délivré par les maîtres à l’issue de leur apprentissage, à des compagnons, dans d’autres métiers.
Curieusement, les archives municipales de Rouffach ou départementales de Colmar ont conservé peu de documents concernant les deux tribus des vignerons À la Fleur de Lys et Au Châtelet… Alors que pour d’autres métiers, les dossiers sont très complets : inventaires, listes des membres, composition du bureau, P.V. des apprentissages et brevets de compagnons, épreuves du brevet de maîtrise et du chef-d’œuvre… Pour les vignerons, peu pour le contenu (le vin) mais davantage sur le contenant : foudres, barriques, tonneaux, fûts, cuves, tonnelets, etc. , et les artisans qui les fabriquent! Pour nous consoler, il nous reste les flacons, nous attendrons l’ivresse !
G.Michel
Notes:
[1] Knecht et Knabe : dans le monde paysan, les deux mots désignent le plus souvent la même fonction, celle de domestique, sans impliquer de nuance d’âge ou de différence de qualification. Dans l’artisanat, il semble que l’on fasse la différence : un état des taxes des tailleurs d’habit de Lucerne, daté de 1472, fait nettement la distinction entre Knecht, le compagnon et Knabe l’apprenti. (dans Grimm) .
[2] schilling : valait 12 pfennig ou deniers, ou 6 rappen. Monnayé qu'à partir du 16ème siècle. - 20 schilling vaut 1 livre
[3] schneiden : la taille de la vigne
[4] das Vergruben (Gruben auftun zum Versenken von Ersatzstöcken) und Aufwerfen der Gruben) Ce mot « vergruben » désigne la technique qui permettait de reproduire la vigne par le procédé naturel du marcottage (provinage ou provignage).
[5] die alte Fastnacht, le vieux carnaval, également appelée Bauernfastnacht, le carnaval des paysans, se termine dans certaines régions, le dimanche qui suit le mercredi des Cendres , appelé Funkensonntag, dimanche des étincelles (celles de grands brasiers ou de lancers de disques incandescents...) , le dimanche Invocavit.
[6] rappen: Monnaie courante valant 2 pfennig/deniers. 25 rappen équivalaient à 1 Kreutzer. 6 rappen correspondaient à 1 schilling (un sou). 10 rappen valaient 1 Batzen.
[7] den Acker, das Feld, den Weinberg rühren, ihn umgraben, travailler la terre à la houe
[8] fêté le 16 octobre
[9] fêtée le 2 février
[10] Blaffert, Blaphart, Blaphert, Plaphar, Plappert, Baselblapert ou Rappenplafart: blafart de Bâle valant 6 deniers
[11] le provinage ou provigniage : Technique qui consiste à coucher un sarment (ou une vieille souche) qui va prendre racine dans une fosse en reproduisant fidèlement (par bouturage ou provignage), les caractéristiques du pied originel.
[12] les chevelus : la touffe, l’ensemble des jeunes racines formées lors du marcottage
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