Turenne en marche vers Turckheim
La bataille de Turckheim oppose le Frédéric-Guillaume, électeur de Brandebourg commandant une armée austro-brandebourgeoise, au maréchal de Turenne, commandant une armée française.
Ecoutons Jean Simon Müller, le chroniqueur de l'Urbaire de la Ville de Rouffach, raconter cet épisode d'une guerre interminable, qui laissera l'Alsace, et Rouffach, totalement ruinées...
Der brandtenburgischen Krüeg im Elsass page 66 Urbaire AA 11
Anno 1674, den 28. Windtermonadt, füelle der Churfürst aus Brandtenburg mit seiner Armae in das Elsas, undt wurdte, in die Stadt Ruffach, in das Quartier gelegt, 2000 Man brandtenburgische Völckher, und solche haben gehabt 300 Weiber undt gar vil Kindter, undt ist seine ganze Amae umb die Gegendt Ruffach herumb verlegt wordten, das Haubt Quartier ware in der Stadt Collmar, die Burger in Ruffach haben ihre Völcker mit Essen undt trinckhen müessen versehen, haben die Stdt mechtig ausgeessen, undt seindt nach 5 Wochen widter abmarschiert.
Anno 1675, den 1. Januarii, seindt widter 400 brandtenburgische Dragoner auff Ruffach komen, undt haben die Burger völlig wehrlos gemacht, seindt aber nur sechs Tag darin gelegen. So ist der französische Generall Turené mit 3000 Man frantzossen, nechst der Stadt vorbeÿ passiert, undt zwischen Egisheim undt Türckheim mit der brandtenburgischen Armae eine Schlacht gehalten, alwo die frantzosen die Schlacht gewunnen undt die brandtenburgischen geschlagen wordten undt darauff widter völlig aus dem Landt veriagt worten.
Nach dieser Schlacht seindt die frantzosen widter zuruckh vor Ruffach geruckht, dieselbe belägert, auch mit vier Stuckh anfangen zuebeschiessen, es haben sich die brandtenburgische 400 Dragoner in das Schloss retriert, worauf die frantzosen die Stadt erstiegen unndt die brandtenburgische Dragonner gefangen bekommen. Die Frantzosen haben guet Ordter gehalten undt ist der Stadt undt Burgerschafft kein Leith geschehen.
Le prince électeur de Brandebourg envahit Rouffach et sa région avec une armée de 2000 hommes
Le 28 novembre 1674 le prince électeur de Brandebourg envahit l’Alsace avec son armée et établit ses quartiers à Rouffach. Toute cette troupe, 2000 hommes, avec leurs femmes et une grande quantité d’enfants s’installèrent dans les alentours de la ville. Leur quartier général était à Colmar. Les bourgeois de Rouffach durent leur assurer la nourriture et le vin, ils ont affamé la population et ne sont partis qu’après cinq semaines.
Quatre-cents dragons brandebourgeois prennent Rouffach
En 1675, le 1er janvier, 400 dragons brandebourgeois entrent à nouveau dans Rouffach et laissent les bourgeois désarmés, mais ils ne restèrent que six jours.
La bataille de Turckheim
L’armée de Turenne, après une lente marche par Remiremont et Belfort, débouche en Haute Alsace à la fin du mois de décembre (combat de Brunstatt du 29 décembre 1674).
Le général Turenne passe au large de la ville à la tête d’une armée de 3000 hommes. Entre Eguisheim et Turckheim, une bataille opposa les français aux troupes de l’électeur de Brandebourg
Turenne remporte la victoire de Turckheim, le 5 janvier 1675 après une manœuvre audacieuse en plein hiver, qui oblige l’électeur de Brandebourg à repasser le Rhin avec, dans ses fourgons, le corps du prince héritier présomptif de l'Électorat de Brandebourg, Charles Émile de Brandebourg décédé le 7 décembre 1674 à Strasbourg de dysenterie, à l’âge de 19 ans.
Après cette victoire, les français revinrent sur Rouffach qu’ils assiégèrent. Ils avaient mis en place quatre pièces d’artillerie. Ils entrèrent dans la ville : les quatre cents dragons qui s’y trouvaient s’étaient réfugiés au château: les français les débusquèrent et les firent tous prisonniers. Les français avaient reçu des ordres et la ville et la bourgeoisie ne subit aucun dommage.
En juin, le Maréchal passe le Rhin, mais est tué peu après à Sasbach (27 juillet). Les troupes françaises refluent en Alsace, poursuivies par les Impériaux.
La mort de Turenne désorganise l’armée française. L’armée du Rhin qui avait été confiée à Condé après la mort de Turenne passe en 1676 sous les ordres du Maréchal de Luxembourg.
Entre 1676 et 1677 aucun des deux camps n'emporte de succès décisif en Alsace, mais le pays est ruiné du nord au sud. Louvois ordonne de détruire les châteaux et villes fortifiées pour éviter qu'ils ne servent de point d'appui à l'ennemi. En 1677 Haguenau est rasée ainsi que Wissembourg ; Saverne et Bouxwiller perdent leurs remparts. La plupart des châteaux des Vosges du nord sont démantelés.
En 1678 encore les troupes passent et repassent dans le pays, semant mort et dévastation.
La guerre, on l’oublie trop souvent, c’est d’abord le passage de troupes dans les campagnes où elles feront régner un climat de terreur. Lorsqu’il n’y a pas d’affrontements directs avec une armée adverse, les troupes, mal payées ou pas payées du tout, rodent dans la campagne, investissent les villages, attaquent les habitants, saccagent et brûlent les habitations, volent les réserves de nourriture, massacrent les vieillards et les enfants, violent les femmes…
Les quartiers d'hiver
Dès que l’hiver approche, les troupes prennent leurs quartiers d’hiver dans les villes, protégées par les remparts, et vivent sur les ressources des habitants. La vie militaire se divise ainsi, schématiquement, en deux saisons distinctes : la campagne elle-même et l’hiver. Les services d’approvisionnement sont rarement capables d’assurer l’intégralité des fournitures nécessaires à la survie des troupes : dès que les conditions climatiques se dégradent, les opérations militaires s’arrêtent, sauf exception et les combats de Turenne en Alsace en sont une, pour reprendre le printemps venu.
Pendant ces quartiers d’hiver, ce sont les villes qui prennent en charge les besoins des soldats : elles leur fournissent le logement, le plus souvent chez l’habitant, la nourriture pour les hommes et les chevaux, ainsi qu’une partie voire la totalité de la solde des hommes de troupe et de leurs officiers.
Ces quartiers d’hiver sont une épreuve supplémentaire pour les habitants de villes qui s’ajoute aux vols, pillages des récoltes, dévastation des cultures au moment des passages de troupe qui circulent dans toute l’Alsace.
Une compagnie de cavalerie et quatre compagnies de fantassins en quartiers d'hiver à Rouffach
J’ai choisi d’éditer dans cet article une partie d’un document conservé aux archives municipales de Rouffach. Il s’agit d’un état des dépenses engagées par la ville lors du séjour à Rouffach d’une compagnie de cavaliers et de quatre compagnies de fantassins de l’armée de Condé en quartiers d’hivers 1676 / 1677, pour une durée de 180 jours. Ces dépenses sont soigneusement notées, dépenses en argent, en avoine, en foin et en paille, et seront équitablement réparties entre les communautés de Rouffach, Gueberschwihr, Pfaffenheim et Soultzmatt.
D’autres états recensent les dégâts (et les vols) causés pendant ces quartiers d’hiver : chaque habitant détaille la nature des dégradations ou des vols et donne une estimation du préjudice subi. Nous reviendrons sur ce type de document dans un prochain article.
Designation
Was die zue Ruffach einquartierte under Herren Rittmeister Belle Croÿe gehörige Compagnie zue Pferdt, und vier Compagnies zue Fueß Condeischen Regiments in den Winterquartieren in Anno 1676 und 1677 in einem und anderen Cösten gerechnet und aussgetheilt, in Beÿsein der hohen Stüfft Strasburg Amtschaffners, Herren Peter Albrecht Mittnachts, so dann Herren Schultheißen, und Gerichts Persohnen, von den Fleckhen der Vogteÿ Ruffach, den 2. Decembris Anno 1676
Auff die Compagnies zue Pferdt:
avoine: Erstlich thun die 34 Rationes an Habern, jede Ration zue 1 ½ Vierling gerechnet täglich 2 fiertel 3 Vierling, thuen füer 180 Täg 382 frtl. 3 sester
foin: Item 34 Rationes Heüw jede à 13. thuet täglich 5 Centner 10 . bringt für 180 Täg 918 Centner
paille: Item Stro für 34 Rations jede à 10. thuet 612 Centner
pour le maître de cavalerie: Item dem Reitmeister für seine Rations … zue 180 Täg: 405 Lib.
pour le lieutenant: Item dem Lieutenant täglich 1 lib. 10 sch. thut für 180 Tag: 270 Pfundt.
Latus in Gelt: 675 Pfundt
Item 30 Rationes Places Mortes thut täglich 11 Pf. 5 sch. bringt für 180 Täg 2025 Pf.
Item für 50 Reiter und 7 Diener Costgelt … thut täglich 28 Pf. 10 sch. bringt in 180 Täg 5130 Pf.
Latus: 7155 Pfundt.
Summa auff die Compagnies zue Pferdt, ahn
Gelt: 7836 Pf.
Habern: 383 frtl. 3 sest.
Hew: 918 Centner
Stro: 612 Centner
Auff die vier Compagnies zue Fueß:
avoine:Item thuet die Fuerage an Habern samt dem Ayde Majoren, 66 Rationen thuen täglich 4 frtl. 3 vierling, bringt für 180 Täg 742 frtl. 3 sest.
foin: Item für 66 Rationen Hew, …. macht für 180 Täg 1425 Centner
paille:Item Stro auf gemelte 66 Rationen: 350 Centner
pour les quatre capitaines: Item den vier Capitains, jedem täglich 40 sols. macht für 180 Täg
pour les quatre lieutenants: Item den vier Lieutenanten jedem täglich 1. Franckhen thuet für 180 Täg 540 Pfundt
pour les quatre Fähnrich (aspirants officiers) Item den vier Fendrichen jedem 1 Orths Thal. thuet für 180 Tag 405 Pfundt.
pour les 180 soldats: Item für 180 Soldaten das Costgelt, des Tags vor jedem 10 sch. thuet täglich 90 Pfundt, für 180 Tag 16 200 Pfundt.
pour les ustensiles (?) : Item, die Ustensilies für 150 Täg 2250 Pfundt
pour les officiers y compris l'aide-major *: Item ferners den Officieren sambt dem Ayde Major 900 Pfundt.
Summa auff die Compagnies zu Fuess thuet, ahn
Gelt: 21 375 Pf.
Habern: 742 frtl. 3 sest.
Hew: 1425 Centner
Stro: 350 Centner
Summarum auff die Compagnie zue Pferdt und vier Compagnies zue Fuess thuet ahn
Gelt: 29 205 Pf.
Habern: 1125 Viertel
Hew: 2343 Cent.
Stro: 1562 Cent.
A la charge de la Ville de Rouffach: Daran belaufft der Statt Ruffach:
Gelt: 1193 Pfundt
Haber:…
Heu:…
Stro:…
A la charge de Sultzmatt:
Gelt: 6415 Pfundt
…
A la charge de Geberschweÿr
Gelt: 5697 Pf. 10 sch.
…
A la charge de Pfaffenheimb:
Gelt: 5697 Pf. 10 sch.
…
Nota: Orschweÿr undt Gundelsheim seindt in diesem Winterquartier zue der Vogteÿ Sultz gezogen worden, also sie der Statt Ruffach nicht beÿtragen. ( Pour ce quartier d'hiver, Orschwihr et Gundolsheim font partie du bailliage de Soultz et ne contribuent pas avec Rouffach)
Les charges de guerre imposées à Rouffach et aux villages de l'Obermundat représentent des dépenses énormes pour les communautés qui, par ailleurs, continuent de payer à l'évêque les taxes et impôts "ordinaires"...
Gérard Michel novembre 2018
* Aide-major: L'aide-major était un officier dont les fonctions consistaient à seconder le major dans le commandement d'un corps de troupe ou l'administration d'une ville. Une ordonnance du 25 mars 1776 supprima ces officiers dans les régiments (Wikipedia)
Le passage de Turenne à Rouffach, par Charles Gérard (1817 – 1877)
in La bataille de Türckheim (5 janvier 1675), édition E Barth 1870 pages 89 et 90
… Dans le conseil que Turenne tint, à Ensisheim, avec ses officiers généraux, il fut décidé qu’on marcherait sur Colmar, mais en prenant le chemin qui longe les montages, la plaine, entre ces deux villes, étant coupée de défilés et de marais, et les chemins se trouvant abîmés. L’armée se mit en mouvement, dans la matinée du 4, toucha à Meyenheim, et se porta vers la gauche, par Munwiller, sur Rouffach. Les français savaient que le colonel Bomsdorff l’occupait avec 800 hommes de cavalerie, dont quatre cents dragons brandebourgeois. Cette petite ville était défendue par une bonne muraille et un château, et couverte, du côté de la plaine, par plusieurs bras de la Lauch. Quand le comte de Roye arriva en vue de Rouffach, il trouva le pont gardé par les dragons. IL fallait en forcer le passage, mais les Brandebourgeois firent retraite derrière les murs. Leur fuite lui permit de prendre le reste de la cavalerie ennemie, qui fourrageait aux environs de la ville. Rouffach ayant refusé d’ouvrir ses portes à Turenne, il y laissa le brigadier Lanson, avec 4 escadrons et 150 mousquetaires, qui s’établirent autour de la chapelle sainte Odile.
Le maréchal continua sa marche par Pfaffenheim, campa en avant de ce village et attendit là toutes ses troupes et ses équipages qui continuèrent d’arriver jusque très avant dans la soirée. L’armée entière, forte de 30 000 hommes, y passa la nuit du 4 au 5 janvier, avertie qu’elle combattrait probablement le lendemain…