La boucherie, Tacuinum Sanitatis, XVe siècle
Paris, BnF, Département des manuscrits, Latin 9333, fol. 71v
4 septembre 1612 : on ne plaisante pas avec la D.D.S.V.!
Bien sûr, en 1612, la D.D.S.V., Direction Départementale des Services Vétérinaires et la D.G.C.C.R.F., direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n’existaient pas ! Quoique…
Les qualités des marchandises proposées aux acheteurs ont toujours été soigneusement contrôlées. Dans les offices que se partagent les 15 membres du Magistrat, figurent en bonne place les fonctions de « Schauer », littéralement « regardeurs, observateurs ». Leur tâche consiste à examiner, à inspecter les produits et les denrées proposés à l'étal et à vérifier leur conformité à un « cahier des charges » défini par l’usage et la tradition ou par une décision du Magistrat ou des autorités de la régence.
Ainsi le boulanger devait-il fournir des pains d’une taille et d’un poids réglementaires. Le meunier quant à lui, devait rendre à celui qui lui avait apporté du grain à moudre, une quantité de farine proportionnelle à la quantité de grain. Les poids, les mesures étaient contrôlés par les Schauer, et toute infraction sévèrement punie. Le poids-étalon était suspendu contre la façade ouest de l’église Notre-Dame et les traces de la coudée-étalon de Rouffach sont encore visibles aujourd’hui, à gauche du portail principal : chacun pouvait y vérifier si on ne l’avait pas trompé dans le poids ou la mesure !
Voilà une mésaventure qui est arrivée à Jacob WÜRTH, boucher de son état, rapportée dans le compte-rendu des délibérations du Magistrat de septembre 1612 :
Jacob WÜRTH, der Metzger, hab ein krankh Stuckh Viech ins Schlaghauss gefüert, und unbeschawet geschlagen. Darumb soll er ohne Gnad 10 Pfundt erlegen. Und des Mezgen biss Weÿhnachten muessig stehen. Sollte gleichwoll mehrere Straf fürgenommen worden sein, bleibt aber einem ersamen Rhat bevor.
Jacob WÜRTH, le boucher, a mené une bête malade à l’abattoir et l’a abattue sans qu’elle ait été inspectée au préalable (par un Fleischschauer). Pour cette raison, il devra verser une contravention de 10 livres, sans possibilité de grâce. De plus, il lui sera interdit d’exercer jusqu’à Noël !
L’amende est considérable et les quatre mois d’inactivité qui lui sont imposés sont une lourde peine.
Ce type de sanction est fréquent, elle touche curieusement le plus souvent les bouchers et les meuniers ! Seraient-ils plus fraudeurs que les autres ?
Des règlements des bouchers sont rédigés très régulièrement et leurs articles concernant des fraudes possibles sont toujours extrêmement détaillés : si l’on est obligé de rappeler avec tant insistance les interdits, c’est qu’ils sont fréquemment transgressés…
Voilà un exemple d’un article d’une de ces Metzger Ordnung, règlement des bouchers :
Es soll auch einem ÿeden Metzger all wegen sin Fleisch von
den geswornen Fleischschaumeistern geschauwt,
und darnach geschetzt werden, und wie das von inen
geschetzt also sollent sy es geben.
La viande de chaque boucher doit toujours être contrôlée par les Fleischschaumeister, maîtres visiteurs ou inspecteurs des viandes, qui en font une estimation.
Ces inspecteurs contrôlent la qualité des viandes proposées à l’étal, et en fixent le prix de vente, ou une fourchette de prix auquel le commerçant devra se tenir.
Les bouchers se trouvent donc, comme les autres artisans, dans la même situation que les vignerons, qui ne peuvent vendre leur vin que s’il a été goûté et estimé au préalable par le Weinsticher, le gourmet-juré ou goûteur assermenté.
Nous reviendrons dans d’autres articles sur ces règlements de bouchers, meuniers et autres artisans : on y verra en particulier que les commerces sont tous très réglementés, d’abord par les corporations et ensuite par le Magistrat de la ville et même par les autorités de la Régence de l’évêque… Les prix ne sont pas libres, les qualités sévèrement contrôlées et on ne vend pas n’importe quoi à n’importe quel prix !
l'étalon de la coudée de Rouffach, de 54,1, cm gravé dans le grès jaune de la façade de l’église Notre-Dame de Rouffach
(mesures de Jacques EHRHART in Dominique Schwartz, Laurence Bernardy, Claire Jouve-Litaudon et Anne Vonna, « Le Bickenberg à Osenbach (Haut-Rhin) », Revue Géographique de l'Est)
Gérard MICHEL mai 2018