Le petit patrimoine rural raconte l'histoire:
Patrimoine rural, petit patrimoine culturel, qu’ès aquo ? On préfère dire aujourd’hui lieux de mémoire : le terme inclut effectivement l’ensemble des biens culturels matériels et immatériels ainsi que les paysages, patrimoines naturels, transmis entre les générations en milieu rural : maisons, rues et places de villages, chapelles, oratoires, toutes les constructions liées au quotidien des villages : canaux d’irrigation, biefs et vannes de moulins, ponts, bassins, lavoirs, bains de chevaux, murets, terrasses…
Artefacts, produits de l'art ou de l'industrie humaine, ils sont autant d’éléments de notre décor quotidien, tellement quotidiens qu’on a fini par ne plus y prêter attention et à en oublier la signification et l’usage.
Une flânerie dans les rues et ruelles de Soultzmatt permet au promeneur attentif, à la recherche de ce petit patrimoine, de découvrir quelques-uns de ces lieux de mémoire.
Saint Grégoire
A la sortie de la ville « basse », en direction des sources, là où l’Ombach disparaît pour s’engager dans un long parcours souterrain, on découvre une statue : nous sommes sur un pont, il ne peut donc s’agir que de Jean Népomucène, le saint patron protecteur des ponts, conclura-t-on un peu trop rapidement…
Et bien non, il s’agit d’une statue de saint Grégoire, représenté en pape, coiffé de sa tiare et tenant dans une main la férule crucifère triple, dans l’autre le livre des docteurs de l’Eglise. Sur son épaule droite, la colombe du Saint-Esprit qui lui parle à l’oreille. (la première église paroissiale, citée dès le VIIIe siècle, était dédiée à saint Grégoire. Elle ne fut consacrée à saint Sébastien qu'en 1309.) Dans La Légende dorée, Jacques de Voragine rapporte que, la peste sévissant à Rome, saint Grégoire ordonna que, le jour de Pâques, on promenât en procession, autour de la ville, l'image de la Vierge... Et aussitôt l'image sacrée dissipa l'infection de l'air…et ce fut la fin de l’épidémie…
Sous la statue une inscription explique la présence du saint en ce lieu :
De juillet à septembre 1855, une épidémie de choléra frappe le village. Elle touche près de 800 personnes et est responsable de près de 300 décès. Reconnaissants d'avoir été épargnés, les habitants du haut du village érigent une statue à saint Grégoire, à l'angle de la rue de la Vallée et de la rue du Dr. Kubler, l'endroit précis où la légende veut que le choléra se soit miraculeusement arrêté....
Dans la presse de l'époque:
Le Courrier du Bas-Rhin
La commune de Soultzmatt, située au fond d'une jolie et saine petite vallée, compte une population de 3,000 âmes, dont la moitié déjà (y compris tous les baigneurs) a déserté ses pénates, chassée qu'elle était par le choléra. Le fléau a sévi à tel point que dans une semaine on a compté à Soultzmatt 140 décès; les enterrements sont en moyenne de 15 à 20 par jour et la terreur a été telle, que les morts ont été un instant, pour ainsi dire, sans sépulture; il a fallu que le préfet du département, qui s'est rendu de sa personne à Soultzmatt, y envoyât des réfugiés espagnols internés à Colmar pour aider aux enterrements. Le seul officier de santé qui demeure à Soultzmatt est secondé par des élèves envoyés de l'Ecole de Médecine de Strasbourg, et l'on cite avec les plus grands éloges le notaire de l'endroit, M. Simon, qui se dévoue au point de visiter et d'exhorter tous les malades, sans distinction. Le vieux curé de Soultzmatt, M. Hinrich a déjà succombé dans ce saint ministère. La maladie règne aussi, mais moins fortement à Westhalten, à une demi-lieue de Soultzmatt, et dans quelques communes de la plaine, surtout à Munchhausen, près d'Ensisheim, où le fléau a fait à peu près les mêmes ravages qu'à Soultzmatt. A Soultz, à Cernay et à Thann, comme à Mulhouse, le choléra est en décroissance.
L'Industriel alsacien
Le choléra a fait invasion à Soultzmatt, et depuis une huitaine de jours il y exerce de cruels ravages. La journée de vendredi dernier a été marquée par 32 décès. Quelques personnes notables de l'endroit ont succombé. Des médecins du dehors et quelques Sœurs de la Rédemption sont accourus au premier appel de l'autorité. Puisse leur dévouement, avec l'aide de la science, combattre efficacement le terrible fléau !
Une famille décimée...
Un peu plus loin, peu après le carrefour, à droite de la route menant à Osenbach un crucifix adossé à un muret. A sa base, une plaque gravée invite le passant à se souvenir de cette même année 1855. Les années passées, les intempéries et la mousse en ont rendu la lecture difficile: un père de famille Sebastien Sax y évoque le souvenir de son épouse Elisabeth, de ses enfants Ludwig, Sebastian, Johann, Anton et Ludewika, de ses petits enfants Johann-Baptist et Ludewika et de sa bru Magdalena, emportés par l'épidémie de choléra, en l'espace de 12 jours, fin août 1855
Saint Sébastien
Au centre du village, rue Saint Sébastien, un autre monument rappelle la dure épreuve qu'a connue Soultzmatt cette année-là: il s'agit d'une belle œuvre du sculpteur Barta de Rouffach, polychrome, représentant le martyre de saint Sébastien. Malheureusement l'inscription portant le nom des donateurs a disparu.
Saint Sébastien, œuvre de Barta, rue Saint Sébastien à Soultzmatt
L'épidémie à Rouffach:
Rouffach n'a pas été épargnée par cette épidémie qui a sévi dans toute l'Alsace. Les archives conservées aux A.M.R. sur le sujet sont curieusement très incomplètes, bien que la préfecture du Haut-Rhin exigeait des mairies de fournir des états très précis des décès cholériques: classés suivant le sexe et l'âge des décédés, suivant les professions des décédés, par mois et par jour... Les trois pièces conservées aux A.M.R. permettent de dresser (sous toutes réserves) le bilan des victimes du choléra à Rouffach en 1854 et 1855:
- du 16 septembre 1854 au 17 novembre 54 ont été relevés 40 cas et enregistrés 21 décès
- du 16 juillet 1855 au 30 septembre 1855 ont été relevés 295 cas et enregistrés 142 décès
sur une population totale de 3878 habitants...
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Le lecteur lira avec intérêt l''entretien de Caroline Moreau avec Elisabeth Clementz, chercheuse historienne: Avant le coronavirus, les épidémies ravageuses en Alsace: peste noire, choléra et danse de saint Guy qu'il trouvera en cliquant ici
A voir également, le site officiel de Soultzmatt - Wintzfelden en cliquant ici
Gérard MIchel