Image extraite du Hausbuch der Nürnberger Zwölfbrüderstiftung 1433
Le vieux Bartle Strell est décédé après quarante-quatre ans de bons et loyaux services rendus à la Ville de Rouffach. Il avait été Thurnbleser pendant 44 ans : Thurnbleser c'est à dire littéralement sonneur de trompe au sommet d'une tour de guet. Nous écririons aujourd’hui Turmbläser, Türmer ou Turmwächter. Rappelons que Turn désigne la tour (et s'écrit Turm aujourd’hui) ,mais signifie également prison (généralement aménagées dans une tour.) Quoique essentielle dans la protection de la cité, la profession est peu prisée et même entachée d’indignité jusqu’au seizième siècle.
En parcourant les protocoles du magistrat, il est assez fréquent de rencontrer des mentions relatives au sonneur de la Ville et à des salaires versés à des Trometer ou Trompeter, trompettes ou sonneurs de trompes. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé jusqu’à présent de Règlement précis au sujet de l’emploi de sonneur et ce que nous savons de cette charge reste très fragmentaire.
Dieweilen der alt Bartle Strell , so 44 Jahr der Stat gedient, und den Thurn bestigen, nach Gottes Willen mit Thodt abgangen und außgeblaßen hat, so ist für diesmahl, biß etwa ein anderer Bläßer sich einstellt und umb Dienst nachvolgt, der Thurn und das Kornhauss, Adam Thoman dem Weber, angesehen er hiebefür in Zeiten wan Bartle selig kranckh gewesen versehen gehabt, vertraut worden. Doch ist er so ernstlich alß muglich erindert, verwarnet worden sich aller Gebür und guter Sorg zue befleißen also Ime selbst vor Schaden und Gefahr zu sein, hat darüber angelobt.
Comme le vieux Bartholome Strell, qui avait servi la Ville et gravi les degrés de la tour pendant 44 ans, avait cessé son office de sonneur, rappelé à Lui par la volonté de Dieu, cette fonction a été provisoirement confiée, jusqu’à ce qu’un nouveau sonneur se présente pour la tour et la Halle aux blés, à Adam Thoman, le tisserand, qui avait déjà rempli cet office pendant que le défunt Bartholomé avait été malade.
Donc, notre Bartle a gravi vaillamment, pendant 44 ans, les escaliers et échelles de la Tour : mais de quelle tour s'agit-il?
Celles de l’église ?
La tour Nord que nous connaissons actuellement n’existait pas et la tour Sud, n’était pas plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle apparaît sur les gravures, surmontée d’une flèche: y avait-il dans cette flèche ou à sa base une terrasse et un local pour le veilleur ?
Ou peut-être s'agit-il de la lanterne octogonale surmontant la croisée du transept, abritant les cloches de Notre-Dame? Là le veilleur aurait été proche de la Sturmglocke, cette cloche dédiée à l'alarme de la population en cas de danger, incendie ou à l'approche de troupes armées...
Sinon, quelle autre tour ?
Rouffach est entourée d’un double mur d’enceinte, avec des portes et des tours: les portes, nous les connaissons et quoique disparues, nous savons les situer:
- Froeschwiller Thor, porte de Froeschwiller, porte est dite porte de Neuf Brisach, c'est la porte Est de la ville, à la hauteur de la maison au n° 1 de la rue Charles-Marie Widor, marquée du petit écu de la ville
- Thorlein, la Poterne, petite porte piétonne, à l'issue de la rue de la Poterne
- Reingrafen Thor, la porte Sud dite porte de Cernay, à la hauteur de la maison n° 11 rue des Remparts, marquée du petit écu de la Ville
- Riss Thor, la porte de l’ancienne route qui contournait le château, à la hauteur de la maison à l'angle de la rue Riss et de la rue de Pfaffenheim. Le petit écu de la ville qui ornait la façade a disparu.
- Neuwes Thor, la porte neuve, porte Nord dite porte de Colmar, à la hauteur de la maison n° 4 de la rue Poincaré, également marquée du petit écu de la ville.
Les quatre maisons qui matérialisent encore aujourd'hui l'emplacement des quatre anciennes portes de la ville figurent sur le plan de la Ville de 1853 comme "Maison de la Ville de Rouffach", et sur le plan de 1817 comme "Maison du portier" (communication de François Boegly).
En 1817 les portes avaient disparu tout comme une grande partie du mur d'enceinte: quelles pouvaient avoir été les fonctions de ces portiers?
Le mur d’enceinte est défendu par des tours, dont la gravure de Sebastian Münster de 1548 nous donne un aperçu mais qui ne donne malheureusement pas leur nom. Un règlement non daté, du début du dix-septième siècle, sur les positions à rejoindre sur les remparts, tours et fossés, par les bourgeois en cas d’alertes, nous fournit des renseignements qui ne nous éclairent pas vraiment mais nous donnent le nom de 6 tours de garde pour la Ville :
- Bürglin Thurn
- Fegelthurn
- Sanct Catharinen Thurn
- Thurn ob dem Rissthor
- Guetleüth Thurn
- Thurn ob dem Froschweiler Thor
Mais où sont-elles, ces tours ?
- la tour sainte Catherine, sur le rempart, près de l’église sainte Catherine, église des Récollets
- une tour sur la porte Riss, qui protège l’entrée du château
- une tour sur la porte de Froeschwiller, l’entrée principale de la ville
- on sait que le Bürglin, le petit château ou châtelet a donné le nom de la Bürglin Zunft, la tribu au châtelet, mais où se trouvait ce Bürglin?
- quant au Fegelthurn, il reste un mystère, tout comme
- la tour de la léproserie, Guetleüth Thurn, la tour des Bonnes gens, les lépreux: mais la léproserie se trouvait hors les murs, dans l’actuelle rue des Bonnes Gens, rue des lépreux, et je n‘ai jamais trouvé de mention d’une tour dans les archives sur les léproseries de Rouffach. D’ailleurs à quoi aurait bien pu servir une tour de guet en rase campagne ?
Autant de questions qui, pour l’instant, n’ont pas trouvé de réponse.
Et la tour dite des sorcières, dans tout cela? Elle est suffisamment haute, elle possède une plateforme qui permet d'embrasser un large horizon, proche du centre de la ville, serait - ce elle, par déduction, la Fegel Thurn ?
A noter que le terme Hexen Thurn, tour de sorcière n'est jamais utilisé! Les prisonniers coupables de délits, sont toujours emprisonnés dans la prison sainte Catherine, Catharinen Thurn. Quant aux auteurs de crimes, et la sorcellerie est un crime, ils sont toujours enfermés avant leur procès dans les prisons du château d’Isenbourg.
Les portes de la ville avaient leurs guetteurs, les tours avaient chacune les leurs, mais sur laquelle de ces tours officiait le sonneur ? Et quel office exerçait-il ?
Une décision prise par le Magistrat le 21 janvier 1616 nous donne un renseignement amusant qui peut donner un élément de réponse :
Hans Herr, qui était Thurn Bläser en 1615 sollicite le renouvellement de cet office auprès du Magistrat, pour l’année 1616 :
le Magistrat lui répond qu’il est bien obligé de renouveler son engagement vu qu’il n’y a pas d’autre candidat, mais il lui sera formellement interdit de sonner les heures et d’être de veille la nuit, à cause de son ivrognerie éhontée das schandliche Sauffen et de son incompétence das übel Blasen, aussi longtemps qu’il ne se montrera pas plus consciencieux et plus sobre!
Il semblerait donc qu’il était chargé, en plus de veiller sur la sécurité de la cité, de sonner les heures de la nuit… Sous la garde de Hans Herr , la cité pouvait dormir tranquille! Il avait trouvé de quoi occuper les longs moments de solitude et de quoi se réchauffer pendant les nuits froides... Quant à la justesse, tout le monde sait que les excès de vin relâchent les muscles des lèvres des joueurs d'instruments à embouchures!
Pour l'instant, les archives ne nous ont rien appris de plus au sujet de Bartle Strell, de Hans Herr, de leurs collègues sonneurs, de leur travail et des conditions dans lesquelles ils l'exerçaient. Mais il nous reste encore quelques mètres linéaires de protocoles du Magistrat à déchiffrer, il est probable que nous en saurons plus à l'issue de cette recherche...
Gérard MICHEL