Le saint Sépulcre (1455 / 1500), église saint Dominique de Vieux-Thann (photo:base Palissy)
Le 18 août 1774, le Magistrat de la ville de Rouffach décide de confier à Johannes Locher et Johannes Ruebrecht, deux peintres originaires de Mengen an der Donau et à Franz Joseph Müller, maître menuisier de Rouffach, la réalisation d’un nouveau saint Sépulcre selon le modèle du plan qu’ils proposent, en remplacement de l’ancien qui serait ruiné, brisé, gantz zerbrochen..
Le saint Sépulcre, la Sainte Tombe, das heilige Grab, est, selon une tradition chrétienne, le tombeau du Christ, aujourd’hui pris dans une rotonde englobée dans l'église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, où le corps de Jésus de Nazareth aurait été déposé au soir de sa mort sur la Croix.
Malheureusement ce plan a disparu et nous ne savons que très peu de chose de cet ouvrage, mais une lecture attentive du contrat apporte quelques informations qui permettent d’entrevoir ce dont il pouvait s’agir.
Traduction:
Aujourd’hui, 18 août 1774, a été conclu et signé l’accord suivant passé entre le Magistrat de la ville de Rouffach d’une part, et Jean Locher et Jean Ruebrecht, tous deux peintres, célibataires, majeurs et jouissant de leurs droits, natifs de Mengen sur le Danube, ainsi que François Joseph Müller, maître menuisier de Rouffach, d’autre part :
Comme il est nécessaire de réaliser un nouveau saint Sépulcre dans l’église paroissiale de la ville de Rouffach, vu que l’ancien est complètement « brisé », les trois artisans cités ci-dessus nommés s’engagent à réaliser et poser avant la mi-carême à venir, un nouveau saint Sépulcre sur le modèle du plan ci-joint. Cet ouvrage devra mesurer 30 pieds de haut et seize pieds en largeur et comporter les peintures et autres choses (autres éléments) indiqués sur le plan. Lorsque l’ouvrage sera terminé et reconnu comme réalisé de mains de maîtres, le Magistrat s’engage à leur payer la somme de 205 livres qui couvriront toutes les dépenses engagées.
De même, le Magistrat s’engage à payer au menuisier pour son travail, la somme de 125 livres, avec l’obligation pour lui de fournir toutes les planches nécessaires à son ouvrage. Par contre, les grosses pièces de bois, celles nécessaires à l’armature de l’ouvrage seront fournies par la ville. Le menuisier pourra utiliser, s’il le souhaite, des planches de l’ancien ouvrage. Les fers qui préparés par le forgeron / serrurier, ainsi que les travaux de charpente, resteront à la charge de la ville.
Tous ces artisans s’engagent à fournir un ouvrage réalisé sans défaut ni vice, dans les règles de l’art et conforme au dessin joint, avant la date limite de la mi-carême.
Après qu’on leur eut fait lecture du présent contrat, les partis l’ont signé de leur main propre, le jour, mois et année notés ci-dessus
Suivent les signatures de Johannes Rupprecht et Johannes Locher les peintres, Joseph Müller le menuisier, Baur, Friess, Ketterlen, Gilger du Magistrat.
Malheureusement, les archives n’ont pas conservé le dessin de cet ouvrage qui lui-même a très certainement disparu au cours de la Révolution et alimenté les feux de joie autour desquels dansaient les révolutionnaires patriotes, en décembre 1793.
A quoi pouvait bien ressembler le saint Sépulcre de l’église Notre-Dame ? A vrai dire, nous n’en savons rien et nous en resterons aux suppositions. Dans de nombreuses églises, on trouve des représentations des scènes qui ont suivi la mort du Christ en croix : descente de Croix, déploration, mise au tombeau, en sculpture ou en peinture représentant le Christ entouré de saint Jean, la Vierge Marie, Joseph d’Arimathie, Nicodème et des saintes femmes, Marie de Magdala, Marie Salomé et Marie Jacobé… Proche de nous, on peut admirer les groupes sculptés de Kaysersberg ou de Vieux-Thann, toutes deux du XVème siècle.
Mise au tombeau 1515 Chaource
Ici, ni pierre ni sculpture...
Mais dans ce contrat de 1774, il n’est question ni de pierre ni de sculpture : il est fait appel à deux peintres et à un menuisier chargé de réaliser la structure destinée à recevoir les peintures et « les autres choses », vraisemblablement des pièces d’un décor baroque, assemblées pièces par pièces Il faut également un échafaudage et des éléments en fer, pour assurer la cohésion et la tenue de l'ensemble : c’est que l’ouvrage est d’importance : 30 pieds de haut et seize pieds en largeur, ce qui fait, en se basant sur un pied à 0,33 mètres, 9,90 mètres de haut et 5,28 mètres de large, ce qui est colossal pour un tableau, dont on ne sait pas où il pouvait bien être placé dans l’église. Vraisemblablement à l'entrée du chœur, à la vue des fidèles de la nef? Mais à cette place, il y avait déjà l'imposante grille de chœur de 1724, remplaçant l'ancien jubé démoli en 1718, et également l'autel de la saint Croix, l'un des huit autels de l'église, dont il est dit qu'il obstruait la vue sur le maître-autel... Nous n'avons évidemment pas (encore?) de réponse, là non plus...
Cet ouvrage était-il placé dans l’église en permanence ou n’était-il érigé qu’à certains moments de l’année liturgique : il n’est sans doute pas innocent que le contrat précise, par deux fois, l’échéance de la mi-carême ? La sainte Tombe ne devait-elle pas être en place, précisément, pour la semaine sainte de 1775 et présentée aux fidèles pour le Vendredi-Saint ? (en 1755, Pâques tombe le 5 avril)
Le saint Sépulcre d'Ettenheim
Le saint Sépulcre de l'église d'Ettenheim
Un saint Sépulcre, qui pourrait ressembler à celui, disparu, de Rouffach, est encore visible de nos jours, certaines années et à l’occasion du temps de la Passion, à l'église paroissiale de Saint-Barthélemy d’Ettenheim: il s’agit d’une œuvre du peintre tyrolien Johann Pfunner créée en 1778. Sa structure en bois a été fabriquée par le menuisier local dans les dimensions 6 x 7 m et 9 mètres de haut. Pfunner l'a peint sur bois ou sur toile et pour ce faire a passé 25 semaines à Ettenheim. Le montage de la structure, l’installation des toiles et des accessoires nécessite aujourd’hui deux journées de travail à une équipe de bénévoles qui procède également à son démontage, habituellement le lundi de Pâques.
Est-il illusoire de penser que cette sainte Tombe de Rouffach ressemblait à celle d’Ettenheim ? Les dimensions sont semblables ainsi que le temps de la réalisation. Nous sommes en 1778 à Ettenheim et en 1774/75 à Rouffach. Ettenheim se trouve à une centaine de kilomètres de Rouffach et en 1778 la ville était propriété de l'évêché de Strasbourg et le restera jusqu'en 1803. Et l'abbaye d'Ettenheim, Ettenheimmünster possédait, depuis le 8ème siècle, des biens à Rouffach, le prædium sancti Landelini, le bien de saint Landelin, un nom qui doit bien parler aux rouffachois ! Pour la petite histoire, c'est ici que le cardinal de Rohan acheva sa vie après l'affaire du collier de la reine…
Il ne reste évidemment aucune trace, ni de ce saint Sépulcre de 1774 / 75 ni de ceux qui l'ont précédé; ces derniers étaient-ils sculptés, en pierre, en bois, étaient-ce des toiles ou des panneaux peints ?
Une tradition très ancienne:
Dans les Comptes des recettes et dépenses de la Reittbruderschaft de 1459 (A.M.R. GG 44) au chapitre des dépenses, le greffier de la Reit note des frais pour les femmes qui veillent sur le Saint Sépulcre…
Et le 28 août1363, der selbe Henin und sin erben söllent jerlichen geben ein phundig kerzen in unserer frowen Gotzhus zue Rufach, die da brenne bi dem heiligen grabe die drie tag, als man unsern Herren in das grab leit… * le dit Henin Heinriat fonde une rente perpétuelle pour la fourniture d’un cierge d’un poids d’une livre qui doit être allumé et brûler au pied du saint Sépulcre, tous les trois jours où notre Seigneur gît dans sa tombe (après sa mort sur la Croix)…
* A.M.R. FF 30, parchemin
Il s’agit donc d’une tradition très ancienne qui a perduré jusqu’à la Révolution. On pense inévitablement à une autre tradition ancienne, qui a fait l’objet d’un article dans ces pages, celle de cette tenture exposée tous les ans pendant le temps du Carême et qu’on l’appela Fastentuch ou Hungertuch, attestée à Rouffach en 1347 et qui disparut à la Révolution.
Texte original A.M.R. DD 29 18 août 1774
Heüt dato, den 18. Augst 1774, ist zwischen einem ehrsammen Magistrat der Statt Ruffach, eines, sodann Johannes Locher und Johannes Ruebrecht, beÿde Maahler, leedigen Standts, major[…] und ihrer Rechten genuessend, von Mengen an der Donau gebürtig, und dato in gemelter Statt Ruffach sich aufhaltend, und Franz Joseph Müller dem Schrienermeister gemelter Statt Ruffach anderen Theils, nach folgender Accord gemacht und beschlossen worden, aller Massen wie folgt, als:
demnach nöthig dass der Pfarrkirch dasiger Statt Ruffach ein neues Heillig Grab gemacht werde, Massen das vorige gantz zerbrochen, als obligieren sich obige dreÿ Handwercksleüth ein neues Hl: Grab auff das Modelle des hierbeÿ ligenden Plangs bis zu künfftige Mittelfast zu stellen und zu verfertigen, welches haben soll in der Höhe dreÿssig Schueh, und in der Breithe sechszehn Schueh, und alles zwahr eingericht mit Gemähl und anderem, wie es schon der ob angezogenen Plang beweisset; für all welches, nach dem die Arbeit meisterhafft gemacht zu sÿn wird erkant seÿn, ein ehrsammer Magistrat ihnen zweÿ Mahlern für ihre völlige Arbeith eine Summa von Zweÿ Hundert Zwantzig fünff livres verspricht zu bezahlen, mit Bedingnuss zwahr dass sie alle nöthige Materialen ihr Handwercks bedreffend ohne einig weiters Entgelt auschaffen und fournieren sollen, so dann wird versprochen ihme Schriener für dessen völlige Arbeith eine Summe von ein Hundert zwantzig fünff Livre, mit Bedingnuss zwahr, dass er an zu schaffen haben solle, alle Dielen so zu solchem Geschäfft nöthig sein kä[…] oder werden, das große Holtz aber betreffend, will sagen das Bauholtz zu denen Gestell, solle durch die Statt fourniert werden, und solle beÿ neben ihme Schriener freÿ stehn sich des Diehlen Holtzes des alten Heilligs Grab zu bedienen, in soweith er an solchem tauglich zu seÿn an dessen wird. Bedreffend das Eissen wessen so durch den Schlosser gemacht zu werden nöthig sein wird, wie nicht weniger die Zimmer Arbeith, soll die Statt davon beladen bleiben, vermittelst all welchem obigen Particularen zu gesagt, gelobt und versprochen obermelte Arbeith meisterhaft und ohne Fehler auff beÿligenden Riss zu machen und zu verfertigen auf vor bestimbte Zeit der Mittelfast, beÿ Vermeidung aller Kosten und Schadten dessen sich die Partheÿen nach gemachter Vor und Ablesung eigenhändig unterschrieben zu Ruffach, den Tag, Monath und Jahr obgemelt.
Johannes Rupprecht, Johannes Locher Mahler, Joseph Müller Schreiner, Baur, Friess, Ketterlen, Gilger, etc.
Gérard Michel