Ci-dessus, une vue de la rue de Dambach-la-Ville où s'est passée la scène du cochon volé: le quartier des boulangers, au bas de l'actuelle rue du Général de Gaulle, et le débouché sur le haut de la Place du Marché. L'une des maisons du côté gauche était celle de Cùnradt Becht, celle de Michel Herttel était un peu avant à droite (non visible). Sur ce dessin d'avant 1862, les maisons, qui existaient déjà au 16ème siècle, sont encore partiellement couvertes en tuiles creuses. L'église qui est représentée n'est pas celle de 1518: elle a été construite à la fin du 17ème siècle, en remplacement d'une église romane, puis elle a été incendiée par la foudre en 1862.
Mme Yvette Beck-Hartweg, une lectrice d'obermundat.org et historienne passionnée de sa ville, m'a fait parvenir cette histoire étonnante dans laquelle il est question d'un porcelet, égaré ou volé, retrouvé... mais sans sa queue! L'affaire a pour cadre Dambach-la-Ville où habite Mme Beck-Hartweg. Rouffach et Dambach-la-Ville sont deux villes dont l'histoire présente de nombreuses similitudes. De plus, comme Rouffach, l'histoire de Dambach a toujours été liée à la vigne et au vin: les archives municipales de Rouffach conservent un règlement de 1648 concernant les aubergistes de Dambach, un règlement qui fut également appliqué à Rouffach: Der Württ oder Gasthalter Ordnung zue Dambach (A.M.R. HH 7).
Nous avons trouvé intéressant de reproduire cette histoire de cochon dans les pages d'obermundat.org, elle rappellera sans doute à ses lecteurs les péripéties de nos cochons rouffachois trottinant sur les routes à la recherche de forêts leur offrant une abondante paisson de glands de chênes...
L'histoire débute vers Noël 1518, mais l'audition des témoins, et le procès du présumé voleur n'auront lieu que dix ans plus tard, en 1528. Lenteur de la justice, déjà ...
Scène de rue à Dambach, à la période de Noël 1518 : un porcelet a disparu !
Martin Metzger a perdu un porcelet ! Il paraîtrait qu’il est chez Cunrat Becht. Mais comment faire pour le récupérer ?
En 1528, une dizaine d’années plus tard, le secrétaire de la Ville recueille les témoignages des habitants sur cet événement, en vue du procès du voleur. La scène se joue en haut de la place du marché, au début de l’actuelle rue du Général de Gaulle, le quartier des boulangers. Toutes sortes de personnes témoignent : femmes, hommes, enfants, jeunes célibataires.
Le premier témoin, Caspar Ettlin, dit qu'il était en train de manger dans la maison de Metzger (une auberge ?) avec quelques voisins. Metzger leur a dit qu’il avait perdu un cochon qui serait chez Cùnradt Becht . Il ne sait pas comment faire pour le récupérer. Le témoin conseille à Metzger de faire une annonce à l’église.
Hans von Berneck, le tailleur, (der schnider) était aussi sacristain (khùlwart) à l’époque. La femme de Metzger est venue le voir pour lui demander d’annoncer en chaire à l’église la disparition du cochon. Von Berneck n’étant pas de service, c’est son collègue qui a fait l’annonce. Quand Hans Von Berneck est rentré chez lui, il a vu le cochon sortir de chez Becht pour aller chez Metzger, puis revenir chez Becht et vouloir rentrer dans la maison. Malgré les efforts de la femme Becht, le cochon a réussi à retourner dans la maison. La femme de Mathis Metzger est allée le réclamer et la femme de Becht le lui a donné. Mais il n’avait plus de queue! La femme de Metzger a dit : « die sù hat kein wadel aber doch so ist sie mÿn“ (ce cochon n’a pas de queue, pourtant c’est bien le mien).
Dès l’annonce faite, Metzger revient voir le sacristain et lui dit : « J’ai récupéré mon porcelet, il est rentré à la maison ».
Martin CLOG, le beau-père (schweger) de Cùnrat Becht, témoigne que celui-ci était venu le voir le dimanche après l’annonce à l’église, en disant qu’il avait perdu son honneur. Il craignait que le bailli (amptmann) d’Epfig l’apprenne et aussi le tanneur (gerber) de Sélestat à qui il devait une grande somme d’argent. Il se sentait comme si un couteau lui avait transpercé le cœur. Il craignait que la femme de Jerg Beck, qui avait tout vu, appuyée sur la barrière de son jardin, n'ébruite cela dans toute la ville.
Le témoin dit à Cunrat Becht : " comment avez-vous pu vous oublier ainsi !" (wie habt ihr euch so vergessen !) Becht est rentré chez lui et il a relâché le cochon.
Madlen, la femme de Metzger, dit : "le porcelet est sorti de la cour de Cunrat Becht."
Mathis Langenzell avait vu un cochon sans queue dans l’étable de Becht.
Anna, la fille de Metzger, maintenant l’épouse de Thoma Pfùntz, était alors une enfant, mais se souvient que les autres enfants ont raconté que la femme de Becht leur avait rendu la queue du cochon.
Gertrùt, la femme de Jerg Beck, savait que Metzger avait perdu un cochon. Le dimanche après l’annonce à l’église demandant de relâcher le cochon avec la menace de fouille des maisons (haussùch), elle était appuyée à sa porte et avait vu le cochon sortir de chez Becht puis y retourner. La femme de Becht a voulu le chasser mais il n’a pas voulu s’en aller et est à nouveau entré dans la maison. La femme de Metzger a demandé à la femme de Becht : " ce cochon est-il à vous?" Elle a répondu que non et a ramené la bête chez sa propriétaire. Ceci lui a été raconté par la petite fille (dochterlin) de Jerg Beck.
La femme de Michel Hertel, qui habitait tout près, à l’angle de la rue, venait d’accoucher, elle était kindbetterin. Elle était en train d’accrocher des langes (windlen) dans sa cour quand elle a vu, juste après la messe, Cùnrat Becht chasser le cochon de chez lui.
Ursel, la veuve de Pfiffer Hans, dit qu’après l’annonce de la perte du cochon, Peter Ebersbach était venu dans sa maison et avait dit qu’on savait où était le cochon et qu’on lui avait coupé la queue: j’ai vu la femme essuyer le couteau sur son tablier (Ich hab gesehen wie die frau das messer ans fùrtùch gewischt hat). La femme de Mathis lui a dit : "mon cochon est revenu, mais il n’a plus de queue !"
Wolff CLOG se souvient qu’il y a quelques années, aux winacht virtagen, (fêtes de Noël), les jeunes gens qui fêtaient l’élection de leur empereur (selon une coutume ancienne) avaient installé un barrage, une haie en branchages de sapin sur la place du marché pour attraper le cochon s‘il descendait la place en courant. (als die jungen gesellen einen keiser hetten gehabt, were ein sag, wie ein sù uss bechten cunrats haùs herausgekommen were. Sie welt man jagen, hetten die gesellen in guts schwenken? ein heg uff den markt mit danrisen gemacht in meynung die sù ze fangen).
Un extrait de l'acte, la dernière page qui relate le retour du cochon avec la queue coupée
Cet événement nous immerge dans la vie de la petite ville de Dambach en 1518 : beaucoup de personnes interviennent : plusieurs mères de famille, des hommes, des voisins et voisines, le gendre et son beau-père, une fillette, les jeunes gens, les sacristains. Toutes ces personnes, quel que soit leur âge ou leur sexe, ont le pouvoir de témoigner sous serment dans le cadre d’un procès au tribunal de la Ville.
A cette époque, la ville était plus aérée. Il y avait plus de jardins et peut-être aussi des murs moins élevés pour clôturer les propriétés, avec des portes basses. On voyait mieux ce qui se passait dans la rue et chez les voisins. Les habitants étaient sous la surveillance constante des autorités, mais aussi de leurs voisins.
On voit les femmes du bourg exercer leurs activités quotidiennes : observer depuis leur jardin ce qui se passe dans la rue, accrocher des langes, être au courant des événements et des racontars, mais aussi agir, trouver une solution, aller témoigner au tribunal. La femme de Metzger gère elle-même son élevage de porcs. C’est de sa propre initiative qu’elle va voir le sacristain pour lui demander d’annoncer le vol, à l’église.
Yvette Beck-Hartweg, février 2024
actes notariés de Dambach, Archives départementales 67, 6E10/ 74, 1528
Nous ne saurons pas, malheureusement, ce qu'il est advenu de la queue de ce malheureux porcelet... Peut-être a-t-elle terminé dans un baeckeoffe ? Et on ne saura pas plus à quelle peine aura été condamné le présumé voleur ...
Merci à Yvette Beck-Hartweg pour cette anecdote savoureuse ... d'autres suivront, nous l'espérons.
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