Glandée en forêt de chênes J. Callot
Transhumance de 298 porcs à Chenebier, canton d‘Héricourt (actuelle Haute-Saône)
Dans l’état actuel de nos recherches, le premier document qui décrive la transhumance d’un troupeau de porcs hors du domaine forestier de Rouffach, Soultzmatt, Gueberschwihr et Pfaffenheim, figure dans le registre des délibérations du Magistrat de Rouffach, en date du 1er octobre, premier mardi après la Saint Michel, de l’année 1555.
Il s’agit d’un contrat passé entre la ville de Rouffach et 6 bourgeois de Chenebier, près d’Héricourt, pour le fainage de 298 porcs, pour une durée de près de deux mois, du 29 septembre au 21 décembre, dans la forêt de hêtres de Chenebier. Il est précisé expressément qu’il s’agit de fainage, consommation des faines de hêtres, et non de la consommation des glands de chênes.
Dans ce contrat, le Magistrat et la ville de Rouffach sont représentés par deux bourgeois, Mattern RÜDE et Thomas SCHALLER. Curieusement, les six bourgeois de Chenebier, Glade GUTHAUSS, Hanns GUTHAUSS, Hüglin GUTHAUSS, Hannsen MEYER, Diebolt BERBALL, et Peter RÜBLÄ, ne s’engagent pas au nom de leur municipalité mais en leur nom propre « in Namen Ir selbs » et sur leurs propres deniers, puisqu’ils font l’avance des frais jusqu’au retour des bêtes à Rouffach. Comment le Magistrat de Rouffach en est-t-il venu à cette localité de Chenebier et à ces six bourgeois, dont trois vraisemblablement de la même famille, et dont le nom à consonance germanique a de quoi surprendre, nous ne le savons pas.
Ils sont tenus, aux termes du contrat, de veiller le plus fidèlement et honnêtement possible, à ce que les porcs de Rouffach, « unsere Schwein, nos cochons! », disposent en quantité suffisante, pour leur engraissement, de faines de hêtre, pour la durée de leur paisson, entre la saint Michel et la Saint Thomas.
La ville de Rouffach fournit et rémunère un porcher, mais ceux de Chenebier devront prendre en charge l’hébergement, la nourriture et la boisson des autres gardiens. Ils devront également payer le salaire des porchers qu’ils engageront pour le troupeau.
Ils s’engagent à ce que le troupeau soit parqué toutes les nuits au sec, dans le village même de Chenebier et dans le même abri, « Stall », que celui qu’ils avaient montré aux gens de Rouffach lors de leur visite.
S’il arrivait que le troupeau soit victime d’intempéries, du manque de nourriture, de mortalité ou d’accidents et qu’il ne soit pas possible d’assurer sa subsistance jusqu’au terme du contrat de la Saint Thomas, ils doivent en informer fidèlement ceux de Rouffach et le nombre de jours qui resterait jusqu’à la Saint Thomas sera déduit du devis initial de façon proportionnelle.
Ceux de Chenebier sont tenus par ce contrat de mener les porcs, à l’aller comme au retour, et ils toucheront pour salaire pour l’ensemble de ces services, 1 livre et 2 schilling par tête.
Ils s’engagent à assurer une bonne et honnête garantie, comme il est d’usage dans le pays et conforme au droit, que les porcs seront nourris et engraissés au mieux.
Si cela n’était pas le cas et que Rouffach estime que les animaux n’ont pas été suffisamment et convenablement nourris, un nouvel accord devra être trouvé sur le montant de la redevance de panage. Ceux de Chenebier doivent également prendre en charge tous les frais de péages, à l’aller comme au retour.
Si au cours de la période précédemment citée, un ou plusieurs porcs venaient à disparaître, morts ou égarés, ceux de Chenebier doivent fournir pour chaque porc ein Wertzeichen, un document sur lequel on pourra reconnaître dans quelles conditions ce ou ces porcs ont disparu. S’ils ne peuvent présenter un tel document, ils devront dédommager Rouffach pour les porcs disparus et chacun des porchers participera, chacun pour sa part.
Malheureusement, nous ne disposons que de ce contrat, les A.M.R. n’ont pas conservé de registres de Waldmeister antérieurs à 1584. On ne saura donc rien de la durée du voyage ni de l’itinéraire parcouru. De nos jours, en empruntant les routes départementales, on compte autour de 70 kilomètres entre Rouffach et Chenebier. Si l’on estime qu’un randonneur moyen parcourt sur ce type de trajet entre trois et quatre kilomètres par heure, il faudrait donc compter entre 20 et 25 heures de marche. En décembre les journées sont courtes et la nuit tombe vite et en plus il ne s’agit pas de randonner mais de mener un troupeau de près de 300 porcs, de contrôler leur divagation, de veiller à les abreuver et les nourrir, et leur garantir un hébergement pour les nuits…
Des trajets plus courts, à Châtenois les Forges en 1658 ou à Florimont en 1681, ont demandé 3 jours entiers de marche. Avec des conditions climatiques favorables, les porcs ont pu rejoindre Chenebier en quatre jours. Sans compter qu’il faut éviter une marche trop rapide qui fatiguerait les bêtes et risquerait de les faire maigrir, ce qui, surtout au retour, irait à l’encontre du but recherché !
Nous ne pouvons qu’imaginer les conditions dans lesquelles se déroulent de telles expéditions, ne disposant d’aucun compte-rendu, ni même ici de la moindre note de frais. Le porc est, dit-on, un animal intelligent, il serait capable de répondre aux ordres du porcher et d’obéir à divers sons, dont celui des clochettes que portaient certains animaux plus anciens, dressés pour être meneurs du troupeau. Mais comment contenir les divagations d’un troupeau de 300 bêtes, attirées par quelques glands ou fruits sauvages, affolées par des chiens ou perdues dans la nuit tombante ? Perdre un animal coûte cher et il est important de rendre la totalité des bêtes à leur propriétaire…
Précisions sur l'image en tête de l'article:
Glandée en forêt de chêne.
Les mois: Novembre, De Momper Josse, dessin et Callot Jacques (1592–1635), entre 1607 et 1609
Verding unnserer Schwein inns Eckerd.
Archives municipales de Rouffach (A.M.R. A / BB 5 de 1555)
Anno 55., uff Zinstag nach Michaelis, haben Mattern RÜDE
und Thoman SCHALLER, von wegen eins gantzen Radts
und der Gemeindt zü Rufach den […] Glade GUTHAUSS, Hanns
GUTHAUSS, Peter RÜBLÄ und Hüglin GUTHAUSS, Diebolten
BERBALL unnd Hannsen MEYERs Burgern zu
(in Namen Ir selbs und von wegen zu) rajout en marge
Schenbÿe bÿ Ellikurdt [1] ungeverlich 298
Schwinn inns Eckerdt verdingt inn die Bucheln [2]
also unnd mit dem Gedinge, dass sÿ alle
sechs sollen schuldig sein, in Irenn Costen, unsere
Schwein mit Büchelen von Michaelis [3] bitz Sant
Thomans Tag [4] zum vleißigsten und trewlichsten
zümesten unnd zuversehen, also dass es unser
Nutz unnd Ir Ehr sige, unnd sollen Wir
von Rufach Inen einen Hirten dargeben und belonen
sÿ aber sollen Ine unnd die andern Hirten
inn Costen, Essen, Trincken und Geliger [5] erhalten, auch die
Hirten so sÿ zur Herdt ordnen besoldenn
unnd dermassen Fürstehung thuen dass die Herdt
alle Nacht inns Dorff Schÿnebÿ inn den Stall
der den Geordneten gezeugt worden, an die Drückne [6]
getrieben werde. Begebe sich aber
dass die Herdt Ungewitters [7] oder Mangels des
Eckerds, oder Sterbends oder Unfals halben, bitz
Sant Thomans Tag nit kündte erhalten und gemest
werden, was Inen den sechs obgenanten deshalb
begegnete, das sollen sie uns jeder Zeidt getrew-
lichen Kundt thun und getrewlichen wissen lossen
unnd darbÿ wiwil Tag
noch bitz Thome gebrestenn [8] in der Suma des Ver-
dings Gelts nach Marzall [9] denen von Rufach abziehen
die vonn Schenebÿe auch die Herdt
inn und uss inn Iren Costen zu trÿben schuldig sein,
für solchenn Atz des Mestens, sollen die
von Rufach Inen wann die Zeit herumb kumbt
unnd sie die Herdt widerumb alhier gelifern, zugeben
schuldig sein, nemblich für jede Sauw insonder//
heit 1 lib. 2 sch. stebler. Dagegen sollen
und wöllen sie # den Wald unseren Schwinen alleinig ingeben und nießen lassen, kein andere Schweinen zu unseren nehmen, auch #
gute erbare Werschafft geben, wie
Lands Brauch und Recht ist, uff das die Schwin zum besten
gemestet werden. Wa aber das nit beschehe und etwas
Mangels an der Mastung am Viech befunden würde,
soll Inen nach ehrlicher Luth Erkandtnuss am Verding
abgezogen werden. Allen Zoll (ussgescheiden den zu Isenheim)
sollen sie im in und usshin faren abrichten
unnd inn dieser vor
gemelten Zeidt, eins oder mehr Schwin von der Herdt
kommen, abgeen oder verloren würde, des sollen
sie von jedem Schwein ein gewiss Werdt Zeichen[10] bringen
uff dass man darby erkenne, wie oder was Gestalt
das oder dieselbige umbkam, brechten sie
aber kein Werdt Zeichen, so sollen sie die verlorenen
Schwinen bezalen, doch mögen sie den Hirten jedem sein
Angepür [11] daran ufflegen.
Notes
- [1] Héricourt est à 10 kilomètres de Chenebier
- [2] Buchel, Büchel, gebildet von Buche, wie Eichel von Eiche:
die BUCHE: le hêtre
la faîne, le fruit du hêtre : c'est un fruit de type akène dont la peau est brune, dure et vernissée. L'allure de la faîne fait penser à une petite châtaigne
Faîne du hêtre (image Wikipedia)
Les faînes sont contenues par groupe de 2 à 4 dans une cupule, qui ressemble à la bogue de la châtaigne, en bien plus petite
Les faînes servaient autrefois, comme les glands, à nourrir les porcs que l'on menait à cet effet en forêt. À cet égard, en France, un « droit de faînée » s'est souvent calqué sur le droit de glandée. Une ordonnance prise en 1669 par Colbert interdit d'enlever (sauf autorisation du roi ou des « Maîtres des Eaux et Forêts ») certaines productions des forêts, dont herbages, glands ou faines.
On parle de glandage, faînage et chataignage pour les porcs, en forêt
- [3] 29 septembre
- [4] 21 décembre. Da am 21. Dezember die Wintersonnenwende ist, ist der Thomastag der kürzeste Tag des Jahres, dementsprechend ist die Nacht vom 20. auf den 21. Dezember, die Thomasnacht, die längste Nacht des Jahres.
- [5] das Gelieger : le couchage
- [6] au sec !
- [7] intempéries
- [8] bresten: deficere, mangeln, fehlen, ennuis, soucis
- [9] Markzahl = Proportion, Verhältnis, nach Markzahl 'dem Wert gemäß, nach verhältnismäßig gleichen Teilen, anteilsmäßig, prozentweise' (Deutsches Rechts Wörterbuch)
- [10] Wertzeichen ? Grimm : Ein Wertzeichen ist ein Gegenstand, der unabhängig von seinem Gegenstandswert einen bestimmten externen wirtschaftlichen Wert repräsentiert oder verkörpert
- [11] Angebühr : gebührender Anteil, Schuldigkeit, Plichtteil
Gérard Michel
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Le lecteur intéressé pourra lire avec profit l’ouvrage co-signé par Marc Grodwohl et Gérard Michel, Cochons des Villes, Cochons des Bois, paru en octobre 2019.
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