Les travaux de restauration du chœur de l’église Notre-Dame de Rouffach.
Dans une vie, on n'a que rarement la possibilité de s'approcher de très près d'un détail architectural, d'une clé de voûte ou des sculptures d'un chapiteau pour en examiner les moindres détails. On m’a offert cette possibilité de suivre le chantier de restauration du chœur de notre église. C'est une merveilleuse occasion de rencontrer les artisans de cette magnifique entreprise et de voir de près ce que je n'avais pu apercevoir jusque-là que de loin aux jumelles ou au téléobjectif.
La restauration extérieure du chevet est désormais terminée et les travaux portent maintenant sur la restauration intérieure. D’imposants échafaudages et une vaste plateforme permettent l’accès à toutes les parties de l’édifice. Les quatre consoles du chœur, les décors peints de la voûte sont à portée de mains des restauratrices et restaurateurs qui s’emploient à les dépoussiérer et à les débarrasser des badigeons et des enduits antérieurs.
J’ai pu m’entretenir avec Carla Labouré Almeida, créatrice avec son époux Martin Labouré de Mescla Patrimoine, tous deux experts en restauration du patrimoine. Sur la plateforme, au sommet des échafaudages, Maxime (décor peint), dépoussière le décor peint de la voûte (la couleur bleue des voûtains). Carla quant à elle, termine le nettoyage des quatre consoles basses et vient d'entamer la minutieuse restauration de la première clé de voûte ouest du chœur.
Il n’est évidemment pas possible d’ouvrir cet espace au public. Aussi, je partage avec plaisir avec les lecteurs d’obermundat.org les découvertes que l’on m’a permis de faire et les quelques commentaires qu’elles m’inspirent : on ne peut pas garder de tels moments de découverte et de bonheur pour soi !
Les clés de voûte du chœur :
Avant dépoussiérage…
Après dépoussiérage…
Les restaurateurs ont déjà procédé à de petits sondages, à l’œil droit, la pommette droite, la pointe du nez, les lèvres et le milieu du phylactère, qui ont permis de découvrir, sous les couches de badigeons, des traces de couleur anciennes.
Après cette découverte, Carla, la restauratrice a procédé au minutieux nettoyage de la figure du personnage opposé, qui a permis de restituer les couleurs primitives : le rose des pommettes, celui également des lèvres, l’or de la chevelure et celui du feuillage, le rouge du vêtement, et quelques traces de la couleur de l’iris
Et même sont apparus les caractères de l’inscription sur le phylactère que le personnage présente entre ses deux mains.
L’or du feuillage, retrouvé sous la poussière, les enduits et badigeons…
Les consoles historiées :
Console côté Nord, avant intervention.
La restauratrice a également entrepris et terminé le nettoyage au laser des quatre consoles du chœur. Là, malheureusement, il ne reste que d’infimes traces de couleur. Sans doute, parce que placées à une moindre hauteur et plus facile d’accès, elles ont « profité » des nettoyages successifs ! L’opération laser révèle toute la beauté de la pierre, l’extrême finesse de la taille des traits des visages et des détails des coiffures et des costumes, une maîtrise parfaite de l’art du maître sculpteur qui a fait naître ces œuvres d’un seul bloc de pierre, taillé sur place …
Une autre dame « au touret », vêtue d’un manteau retenu par une broche, sur une robe au drapé délicat.
Qui est ce personnage qui tente d’écraser rageusement sous ses pieds un animal fantastique recouvert d’écailles ?
Au vu des traces de peinture subsistantes, on peut penser raisonnablement que l’ensemble était polychrome, une polychromie disparue lors de lessivages successifs entrepris dans toute l’église. Un premier (?) est signalé en octobre 1603 au cours duquel le maître-autel avait été sérieusement endommagé : on avait procédé à aussputzen, weissen oder bestechen, nettoyage, badigeon blanc ou crépi…
En 1836, l’intérieur de l’église et de l’ancienne sacristie aurait été recrépi là où il y en avait besoin et tous les murs blanchis avec de la chaux entremêlée d’une couleur de paille jaune !
Et pourtant, l’abbé Straub signale encore en 1868, « la découverte, à la suite de travaux (sous le badigeon de plusieurs voûtes) de nombreuses peintures murales de différentes époque » dont « les plus anciennes paraissent dater du commencement du XIIIème siècle » et d’autres qu’il date de la première et seconde moitié du XVème siècle ! Et en 1869, M. Gérard, qui entretient le comité des travaux de restauration à l’église de Rouffach, note la découverte sous le badigeon de plusieurs voûtes de quelques restes de fresques…
Et la suite, on la connait : de 1867 à 1869, l’entreprise HILLER effectue le décrépissage, grattage, lavage et enlèvement de peinture des murs et les voûtes de l’édifice. C’en était fini du décor peint de l’église Notre-Dame de Rouffach !
Peut-être les échafaudages réalisés pour ces derniers travaux n’ont-ils pas permis d’atteindre les clés de voûte, situées hors de portée des grattoirs des ouvriers de l’entreprise Hiller ? Des clés de voûte protégées par l’enduit de chaux mêlé d’une couleur jaune paille badigeonné par André Zind, maçon, en juin 1836 ? Et c’est cet enduit, tourné au gris sale que, 187 ans plus tard, la restauratrice a gratté au scalpel et nettoyé à la petite brosse, et les couleurs et les ors anciens se sont révélés.
Anciens à quel point, c’est une autre question ! Les archives anciennes que j’ai pu consulter, évoquent à plusieurs reprises d’important travaux, urgents, aux voûtes de l’édifice menacées d’effondrements partiels. Ainsi, en mars 1656 on signale un risque d’effondrement de l’église, Baufälligkeit der ruffacher Kirche, qui nécessite des réparations urgentes. Un peu plus tard, en août 1663, la voûte Saint Laurent (st. Lorenzgewelbe) menace de s’effondrer si on n’intervenait pas rapidement : des travaux devraient être exécutés dans les meilleurs délais par le Bauwmeister, maître d’œuvre de la Ville. De même, dans le même temps, les travaux de réparations du chœur devraient être prises en charge et exécutés par les autorités de l’Obermundat, die gnädige Herrschaft. Quelle était la nature exacte de ces travaux, les documents en notre possession ne le précisent pas.
Ces travaux ont-ils touché à la structure supérieure du chœur, aux voûtes, nervures et clés de voûte ? Des études plus précises permettront sans doute de répondre à cette question… Une étude approfondie des techniques de taille, celle des pigments utilisés, une autre des coiffures et des vêtements permettront une datation précise des clés de voûte.
Les travaux actuels entrepris dans le chœur de l’église révèlent des découvertes exceptionnelles que nous espérions tous, sans imaginer que nous les verrions un jour, et qui en laissent présager d'autres encore plus extraordinaires.
Nul doute que le chœur de l’église Notre-Dame de Rouffach, avec ses clés de voûte, les consoles et les autres éléments du décor sculpté, une fois restaurés et rendus à la visite, formera un magnifique écrin pour un inestimable trésor qui attirera de nombreux visiteurs et amateurs d'art...
Il restera alors à mettre en valeur ce patrimoine et surtout à amener la population de Rouffach et de nombreux visiteurs à le découvrir.
Gérard Michel
photos gérard michel
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