Nous avons évoqué plusieurs fois dans ces pages la figure de Jean-Simon MÜLLER, le rédacteur de l’URBARIUM RUBIACENSIS CIVITATIS ou Stadt Buch und Urbarium von Ruffach, conservé aux A.M.R. dans le fonds ancien des archives municipales, série AA n° 11.
Cet Urbaire rassemble des copies des anciennes chartes et lettres qui contiennent les droits et les privilèges de la ville depuis les années qui ont suivi sa fondation. Mais ce registre contient aussi des passages de vraie chronique, dans lesquels l’auteur évoque des événements dont il a été un témoin direct.
Nous avons choisi un passage dans lequel il décrit un hiver particulièrement rigoureux et meurtrier, celui de 1709, il y a un peu plus de 300 ans, à une époque où on ne parlait pas encore de dérèglement climatique…
1. Traduction :
1.1. beaucoup de gens sont morts gelés...
Le 6 janvier 1709 est arrivé un froid si rigoureux que beaucoup de gens sont morts gelés. Ce froid a duré jusqu’au jour de la Conversion de saint Paul, le 24 de ce mois. A la pleine lune, le temps a changé et s’est adouci : il s’en est suivi de grosses inondations, au point qu’à partir des portes de la ville on pouvait circuler par-dessus les champs sur de petites embarcations. Les eaux grossissaient, arrêtées par le talus du canal, et on a été obligé d’y percer des brèches. Oberhergeim se trouvait en grand danger car l’eau y était si haute qu’on pouvait passer avec des bateaux dans les jardins, au-dessus des échalas des vignes. L’église y est bâtie en hauteur et son cimetière est entouré de murs, mais l’eau était si haute qu’elle passait par-dessus ces mêmes murs.
1.2. les braves gens réfugiés dans le clocher de l'église
Les braves gens s’étaient réfugiés à l’étage de leur maison ou même dans le clocher de l’église et les bateliers de Colmar leur apportaient des vivres, en passant, avec leur bateau, par-dessus les murs du cimetière !
Après ces inondations, il y eut à nouveau un froid si terrible que beaucoup de gens sont morts gelés, sur les routes.
1.3. le vin a gelé dans les caves
Le vin a gelé dans les caves, le gel a fait sauter les bondes des tonneaux et dans de nombreuses caves beaucoup de vin a été perdu. Ce froid a détruit totalement les céréales d’hiver et a même gelé une grande quantité d’arbres fruitiers qu’on a été obligé de couper. Les noyers en particulier ont presque tous gelé. Les vignes, celles des collines et des vallons comme celles de tout le pays, ont été totalement détruites par le gel et on n’y a pas récolté le moindre ohmen, la moindre mesure de vin, cette année-là.
Les champs de blés d’hiver ont été retournés et on y a semé de l’orge. Le peu qui y avait survécu fut touché par l’oïdium (milthau ou mehltau). Mais cette année-là, il y eut une belle récolte d’orge et une belle récolte d’été de toutes les sortes de fruits d’été. Que Dieu en soit loué.
Les vignes, celles des collines et celles des vallons, ont toutes été coupées, sans exception. A la suite de cela, il y eut une augmentation des prix considérable :
un quart de blé vaut 20 livres
le blé pour farine 16 livres
l’orge 11 livres
l’ohm de vin rouge (environ 50 litres) 9 livres
l’ohm de vin blanc 7 livres
l’ohm de vin blanc vieux également 9 livres. (vin vieux = vin de l’année précédente)
2. la faute au canal Vauban !
Cet épisode nous fait découvrir un grave défaut de conception du canal Vauban ou canal de Neuf-Brisach, défaut dont on parle peu mais qui pourtant a rapidement précipité sa perte, au moins sur une partie de son cours. Mis en service en 1699, en partie comblé déjà en 1703, il avait été construit pour permettre l’acheminement des pierres de taille, de la chaux et le bois de construction pour l’édification des remparts de Neuf-Brisach. Pour sa construction, il a fallu élever une digue sur toute sa longueur dans laquelle coulait ce canal, pour lui permettre d’enjamber, par un pont-canal, la Lauch et un autre canal à Rouffach et plus loin l’Ill. Or, en cas de crues, de la Lauch ou de l’Ill, cette digue constituait un barrage et empêchait l’écoulement des eaux : c’est bien ce qui s’est produit au cours de l’hiver 1709 où il a fallu creuser d’urgence une brèche dans cette digue pour sauver Oberhergheim : ce sont les gens de Colmar qui se sont dévoués pour cette tâche. Ceux de Rouffach qu’on avait appelés au secours, ont charitablement déclaré, en bons voisins, qu’ils n’étaient pas concernés…
3. Texte original en allemand:
Anno 1709, den 6ten Januarii, ist ein so unleidendtenliche
Kälte eingefallen, das vil Leüth erfroren, diese Kälte
hadt gewehrt bis auff Pauli Bekehrung, als den 24ten dito
als der Mon voll war, da hadt sich das Wedter geendert
unndt ist warm wordten, da hadt es ein so großes
Gewesser abgeben, das man alhier von den Thoren
über alles Velt, mit Schüfflen hadt kennen bis auff
die Hardt fahren. Das Wasser schwelte sich am Canall
hoch auff, das man gezwungen wordten in etlichen
Orthen durch zuehawen. Oberhercken ist in großer
Gefahr gestandten, dan das Wasser alda ware so groß
das man mit Schüffen in die Gärthen, über die
gestandene Rebsteckhen gefahren, ja was zue verwundtern
in deme die Kürch hocherbawen, und in der Höhe umb
den Kürchhoff herumb ein Maur, so ist doch das Wasser
so hoch gewesen, das es über selbe Mauren des Kürchhoffs
gangen, und ist den gueten Leüthen, welche sich in die
oberste Gemach ihrer Heüsser retrüert, auch in die Kürch auff den Thurn,
durch die Collmarer Schüffleüth Lebens
Nahrung zuegefüert worden, undt seindt solche mit ihren Schüffen
über die Maur so umb den Kürchhoff geht, hinüber gefahren.
Nach diesem Gewasser aber, ist widter ein so erschräckhliche
Kälte eingefallen, das vil Leüth auff den Straßen
erfroren, der Wein in den Källern ist gefroren, das es die
Spundten zue den Fassen hinaus gesprengt, undt in
villen Keller vill Wein verdorben. Diese Kälte hadt die
liebe Windterfrüchten völlig verdorben, ja auch so gar
die Obsbäum hadt es ein große Qandtitet verfroren
das man sÿe hadt müesen abhawen, absondterlich
die Nussbäüm seindt schier gäntzlich erfrohren. Die
Reben alhier zue Berg undt Thall, wie auch desgleichen
im gantzen Landt, seindt gäntzlich verfrohren, und hadt man
alhier noch im gantzen Landt kein Ohmen, ja kein Maß
Wein gemacht. Die Acker mit den Windterfrüchten wurdten
umbgefahren, undt Gerst darin geseÿdt, das wenige so
ist überblüben ist miltauwig wordten, aber es hadt
ein reichliche Gersten undt Sommer Erndt von allerhandt
Sommer Früchten reüchlich geben, Godt seÿ gedankht. Die
Reben seindt zue Berg undt Thall, ohne Undterscheidt, völlig
abgehawen wordten, es ist hierauff ein große Thüre
ervolgt, das viertel Waitzen 20 Pfundt, das Korn 16 Pfundt,
die Gersten 12 Pfundt gegolten. Ein Ohmen rother Wein golt 9 Pfundt,
der weisse 7 Pfundt, der alte weiße auch 9 Pfundt.