Il ne serait pas juste que dans un site consacré à l'histoire de Rouffach ne figure pas un article dédié à celui qui a consacré une vie entière à dépouiller les archives, à fouiller le passé de sa ville d'adoption, rédigeant une quantité impressionnante d'articles et d'ouvrages qui sont aujourd'hui encore des références incontournables et une source inépuisable d'informations sur le passé de la ville de Rouffach: Thiébaut WALTER, enseignant, archéologue, archiviste, historien, poète, maire de Rouffach, président du Club vosgien, travailleur passionné et infatigable.
Pour rédiger cet article, je me suis servi d'un petit ouvrage autobiographique que TH. WALTER avait écrit à l'occasion du soixante-cinquième anniversaire de sa naissance, le 11 janvier 1932, à l'intention de sa famille et de ses amis: Souvenirs d'un alsacien, aux éditions Alsatia de Guebwiller.
l'enfance à Ballersdorf
Thiébault Walter est né en 1867 à BALLERSDORF dans une famille d’agriculteurs qui exploitait ses terres depuis au moins huit générations, de père en fils. Ses premiers souvenirs d’enfance sont ceux de la guerre de 1870/ 71, alors qu’il se réfugiait avec sa famille et les voisins dans les fourrés du Baennele, fuyant devant les Uhlans prussiens.
A l’age de quatre ans il s’enfuit de la maison paternelle et prend la route en direction de Lyon où s’était engagé un de ses oncles, pour le prévenir de la prise de la forteresse de Belfort dont il avait entendu dans les conversations qu’elle était imminente, d’après ce que disaient les Allemands ! Il n’alla pas bien loin : son père le rattrapa sur la place du marché à Dannemarie… Première fugue et première manifestation de cet amour pour la France, qui ne le quittera jamais.
Il fréquente l’école du village où sœur Didier et Rosine lui apprennent les rudiments de l’instruction dans les deux langues, avant d’être confié au maître d’école Dreyer qui, bien qu’en pays allemand, parlait français en famille et souvent même en classe, et entretenait chez ses élèves l’amour du pays perdu en leur montrant une carte de la France, pieusement conservée et soigneusement cachée.
instituteur à Kaysersberg
Destiné d’abord à prendre la succession de son père à la tête de l’exploitation familiale, il n’obtint qu’à quinze ans, en 1882, le consentement paternel pour entrer à l’école préparatoire des Instituteurs de Colmar. Il sortit de l’Ecole Normale en 1887, muni du brevet provisoire pour l’enseignement primaire et prit ses fonctions à l’école de Kaysersberg...
En 1890, déjà l’histoire et l’étude des documents anciens l’intéresse : il devient le collaborateur de SATZGER qui venait d’entamer le classement des vieilles archives de la ville : première conférence puis deux essais historiques dont un sur Lazare de SCHWENDI qui ne sera jamais publié.
instituteur à Rombach le Franc
Nommé à Rombach le Franc, confronté à des élèves qui ne parlaient que leur patois, logé dans un taudis attenant au cimetière, il découvre le charme des sites, le Val de Villé, le Climont, le Donon, Andlau et le Mont Sainte Odile :
« Le cœur léger et les soucis au vent, ah, que la vie était douce et que les Vosges étaient belles ! » écrit-il à cette période. Curieux de tout, il se plonge dans l’étude des langues, lit Dickens, Walter Scott, Hugo, Chateaubriand, Zola et Maupassant, s’intéresse au folklore, aux légendes et aux chansons populaires.
une école d'agriculture étrange, sans champs, sans prés, sans cheptel et même sans jardinage!
Une conférence donnée en février 1893 attire l’attention de ses supérieurs et c’est ainsi qu’il se voit offrir un poste de professeur adjoint à l’Ecole d’Agriculture de Rouffach, une école dont il dira qu’il la trouvait « étrange » puisque sans champs, sans prés, sans cheptel et même sans jardinage…
Son poste lui laissant du temps libre, il s’intéresse à l’histoire de son village natal, ce qui l’amène tout naturellement aux Archives Départementales où il rencontre les archivistes Pfannenschmitt et Bechele. Ce travail se solde par un opuscule imprimé à Altkirch au printemps 1894 : Geschichte, Sagen und Gebrauche des Dorfes Ballersdorf.
découverte des archives de Rouffach
La ville de Rouffach possédait, et possède toujours, d’importantes archives, délaissées dans un caveau humide, que le maire Muller met à sa libre disposition pour ses travaux. Mais le jeune historien se rend très rapidement compte qu’avant de poursuivre ses recherches il lui faut impérativement s’approprier les éléments fondamentaux de l’historiographie, et c’est ainsi que pendant deux années il étudie conjointement la paléographie et la langue latine du Moyen Age.
retour dans le Sundgau, instituteur à Magstatt-le Bas, instituteur, greffier et...organiste
Le premier avril 1895, il quitte Rouffach pour s’installer à Magstatt-le-Bas, comme instituteur, greffier et… organiste.
il quitte son aimable paradis du Sundgau pour Rouffach
Un an plus tard, rappelé à Rouffach pour une place de professeur, cette fois titulaire, devenue vacante, il quitte son « aimable paradis du Sundgau ».
conservateur local des monuments du canton de Rouffach
L’année 1896 sera celle de son mariage. Les recherches historiques reprennent, suivies de publications régulières :
en 1897 paraît Dinghöfe und Ordenhaüser der Stadt Rufach et en 1900, parait le monumental Urkundenbuch der Pfarrei Rufach, un „ouvrage de bénédictin“. Rapidement reconnu, Thiébaut Walter s’attire l’amitié et la bienveillance d’archivistes et d’archéologues de renom ce qui lui vaut d’être nommé, le 9 mars 1905 « conservateur local des monuments du canton de Rouffach ».
A ce titre, il est à l’origine de la remise sur pied du Menhir Langenstein du Schäferthal (l’inauguration aura lieu le 20 novembre 1905), il surveille les fouilles lors des travaux de construction de « l’Asile des Aliénés » et donne de nombreuses conférences. Il collabore à l’annuaire édité par le Club vosgien et débute à La Revue d’Alsace avec un article sur la Cour colongère de Gundolsheim.
En 1897, il est nommé secrétaire de la Section du Club Vosgien de Rouffach dont il deviendra président en 1902.
Il est élu en 1908 au conseil municipal et édite la même année un autre ouvrage de référence : Urkunden und Regesten der Stadt Rufach, qui sera suivi en 1913 du troisième volume Urkunden und Regesten der Stadt und Vogtei Rufach.
Il n’en abandonne pas pour autant son Sundgau natal et publie de nombreux articles. Pendant qu’il classe et inventorie « les anciens parchemins négligés » des archives de Rouffach, il prépare un quatrième volume du Cartulaire de Rouffach qui ne sera malheureusement jamais édité. Il s’initie à l’archéologie en compagnie des meilleurs maîtres, s’intéressant notamment aux murs païens et aux monuments mégalithiques.
maire de Rouffach
La guerre mondiale le surprend en 1914 mais ne l’empêchera pas de publier. En décembre 1919, il est nommé adjoint qu maire. L’année suivante, après la démission du maire Muller, il est élu à lui succéder le 23 mars et il a alors « la naïveté et la faiblesse de l’accepter, quoiqu’il fut notoire que l’office de maire à Rouffach n’avait jamais été digne d’envie » : en écrivant ces mots il pensait certainement à l’assassinat de Jaenger et de son adjoint Fischer en 1792, à Schirmer chassé en 1800, à Landwerlin contraint de quitter la ville en 1807, à Durand expulsé trois fois de la mairie, à Dietrich chassé par des agitateurs en 1870…
En mai 1920, en raison de ces nouvelles fonctions, Thiébaut Walter demande à être remplacé dans sa fonction de Président de la Section du Club Vosgien de Rouffach, dont il sera nommé Président d’honneur.
La ville se trouvait alors dans une situation déplorable, tant son administration que les bâtiments communaux et les caisses de la ville sont absolument vides. En 1844 déjà le préfet avait écrit : « Rouffach ? C’et la plus mauvaise administration de mon département après B… »
Nommé officier d’Académie en 1920, chevalier du Mérite Agricole en 1923, promu Professeur de Première Classe du Cadre français, Juge suppléant du Canton, Membre de la commission départementale chargée de dresser la liste des sites et monuments naturels de caractère artistique, Correspondant national des Antiquaires de France, Président cantonal des Pupilles de la Nation, … les titres et les fonctions récompensent ce travailleur passionné et infatigable.
Sa fonction de maire lui permet de préserver d’anciens monuments du patrimoine rouffachois d’une ruine certaine, l’ancienne halle aux blés, l’église de franciscains qu’il rend au culte. C’est sous sa magistrature également qu’est mis à l’honneur un des plus célèbres enfants de Rouffach, le maréchal Lefebvre dont le monument qui lui est consacré ainsi qu’à la mémoire des victimes des guerres sera inauguré le 22 août 1922. En 1920 paraît l’Abrégé de l’histoire de la Ville de Rouffach, qu’il dédie à la jeunesse de sa commune :
C'est à toi, jeunesse de la ville de Rouffach, que je dédie cet opuscule historique. Nous autres, les vieux, nous avons encore vécu du temps des veillées au sein de la famille, où l'on entretenait à la lueur d'une modeste chandelle si sincèrement les contes de la grand-mère, les douces légendes du pays et les belles traditions de la communauté qui forment l'histoire locale. Vous, les jeunes, vous débutez dans un temps tout autre, dans un temps où les luttes sociales et politiques, les petites sociétés, les livres et les journaux vous divertissent des douceurs du foyer paternel, vous détournent de ce culte si sublime du passé glorieux de vos ancêtres. Mais, malheur à ceux qui oublieraient les faits et les peines de leurs pères ! Lisez donc ces quelques lignes écrites pour vous ! Lisez-les avec attention, et apprenez que vous aussi, vous n'êtes qu'un bien simple maillon de la grande chaîne qu'on appelle l'histoire ! Apprenez à devenir de bons bourgeois, à aimer votre antique cité si glorieuse dans l'histoire de notre chère Alsace, et à la rendre plus fière, plus riche et plus renommée qu'elle ne le fût jamais.
Sous son administration, les finances se rétablissent après le règlement intégral de toutes les dettes de la ville, l’administration communale retrouve l’ordre. C’est à Thiébaut Walter que l’on doit, entre nombreuses autres réalisations, la réparation des dommages de guerre, le pavement des rues et des ruelles, le perfectionnement du réseau d’eau potable, la création d’une bibliothèque municipale et du musée local, la fondation d’un centre anti-tuberculeux dans l’ancien collège, l’aménagement d’une ligne téléphonique au Holtzmacheracker, …
Dans son recueil autobiographique Souvenirs d’un alsacien, Thiébaut Walter constate amèrement : « Quant à mes concitoyens de Rouffach, je ne puis me vanter de leur reconnaissance » : il échoue aux élections de mai 1929 «scandaleusement combattu et dénigré par une cabale d’envieux et de vils diffamateurs…».
Au mois d’octobre 1929, Thiébaut Walther met un terme à sa vie publique en demandant, à l’âge de 62 ans, sa mise à la retraite pour cause de maladie, qui lui sera accordée par le Ministre de l’Agriculture pour le 1er janvier 1930.
Il paraît encore quelques articles, notamment dans la revue d’Alsace et dans Ellsassland et c’est en 1932 que paraît aux Editions Alsatia de Guebwiller son recueil autobiographique, un ouvrage d’une quarantaine de pages, intitulé Souvenirs d’un Alsacien que son auteur conclut par la devise des anciens étudiants de la ville de Prague :
Beatus ille homo
Qui sedet in sua domo
Et sedet post fornacem
Et habet bonam pacem
dont il donne la traduction suivante :
Heureux l’homme qui peut s’asseoir paisiblement au foyer de sa demeure.
Thiébaut Walter n’aura guère l’occasion de profiter longtemps d’une retraite paisible : il meurt le 29 janvier 1934 et avec lui disparaît un homme de devoir et un historien remarquable mais aussi, et c’est une face de son œuvre que l’on a quelque peu oublié, poète et conteur : Paul Stintzi, autre remarquable historien, poète et conteur lui aussi écrira de lui :
…sein Name bleibt eingeschrieben unter unsern Grossen, der Name eines treuen Dieners an Volk und Heimat.