Les protocoles des séances du Magistrat (conseils municipaux de l'époque...) sont une source inépuisable de renseignements pour le chercheur: Tout au long des pages, le lecteur y découvre des anecdotes parfois savoureuses, les événements, même les plus secrets, de la vie quotidienne des hommes et des femmes du Rouffach ancien.
Ici il est question d'ânes et du règlement qui en limite le nombre par foyer... toute infraction sera sévèrement punie! Qu'on se le dise !
Compte rendu du conseil tenu le mardi après le Jour de la décollation de Saint Jean, année 1561
Transcription du texte allemand:
Rath gehaltenn uff zinstag nach Jo.is enthauptunt Anno 61
Ist vor 2 Jaren erkanndt das kein burger mehr als
zwen esell haben soll, ist nochmals erkandt
das es by dem selbenn pleiben soll, und gehalten
werden, by 5 Pfundt, und soll uff den zunffte
verkhündt werdenn, und soll dis gepott uff sant
Gallen tag an gon, welcher darnach über zwenn
esell hat, der soll 5 Pfundt verpessern /
Traduction:
Compte rendu du conseil tenu le mardi après le Jour de la décollation de Saint Jean, année 1561
Au sujet des ânes…
Il y a de cela deux ans, il avait été arrêté qu’aucun bourgeois ne devait détenir plus de deux ânes et il est à nouveau reconnu qu’il fallait s’en tenir à cela et respecter cette prescription, sous peine de 5 livres d’amende. Cet arrêté doit être publié dans les poêles des corporations et il entrera en vigueur le jour de la saint Gall ; celui qui après ce jour détiendra plus de deux ânes devra s’acquitter des 5 livres d’amende.
L’âne, le cheval du pauvre, est souvent frappé d’interdits : un conseil du Magistrat, le mardi 14 juin 1616, en limite le nombre à deux par propriétaire, sous peine au contrevenant de se voir refuser le droit au pâturage ! (A.M.R. BB 35 1616)
Pour quelle raison le Magistrat tente-t-il de limiter la prolifération des ânes dans les foyers de la bourgeoisie de Rouffach ? Pourtant l'âne peut-être d'une grande utilité et se prête à de multiples emplois:
- utilisation de l’âne pour le transport des céréales et de la farine, de petites charges dans un paysage accidenté
- en pays de vignoble particulièrement bien adapté à un usage dans un vignoble formé de petites parcelles, les vignerons utilisaient l'âne comme animal de bât et de trait.
En 1525 lors des troubles de la guerre des paysans une réunion eut lieu pour les bourgeois de la ville, au poêle des corporations, au cours de laquelle les corporations firent part de leurs doléances et revendications qu’ils exposèrent en une vingtaine d’articles : l'un de ces articles touchait aux attelages d'ânes, qui ne devaient plus être utilisés dans les corvées seigneuriales. On cherchait donc à protéger l'âne en lui épargnant des tâches pénibles et on voulait éviter surtout que les corvées, au service du seigneur, privent les bourgeois d'animaux dont ils ont besoin dans leurs tâches quotidiennes... C'est donc que les bourgeois de Rouffach tenaient à leurs ânes !
L’âne n’est pas, comme la chèvre et dans une moindre mesure le mouton, un prédateur pour les cultures et dans la forêt… Il est d'un élevage aisé, peu exigeant et son alimentation n'entre pas en concurrence avec celle des humains ou avec celle d'autres espèces d'animaux domestiques.
Alors, qu’est-ce qui lui vaut ces mesures qui tentent d'en limiter le nombre ?
- la divagation dans les rues et le danger qu'ils peuvent représenter ?
- les braiments ou braiements intempestifs ?
Pour l'instant, aucun texte ne nous a permis de trouver de réponse satisfaisante à ces questions...
Les ânes, blessés sans doute par la mauvaise image qu'on véhicule à leur sujet, ont choisi d'émigrer à Westhalten où ils sont, encore aujourd'hui, les rois d'une grande fête traditionnelle, le Eselfàst qui rassemble ânes et âniers des régions de l'Est au mois de juillet.
Pour terminer, les lecteurs de Westhalten me pardonneront sans doute de citer un article paru dans la très sérieuse Revue d'Alsace en 1889, dont l'auteur , un certain Durwell, commente un sobriquet dont étaient affublés les habitants du village:
Entre Soultzmatt et Rouffach se trouve l'insignifiant village de Westhalten, que l'extrême susceptibilité de ses habitants a rendu légendaire dans toute la contrée. Un avis au promeneur imprudent : en traversant les rues de la susdite commune, ayez soin de bien vérifier vos poches, et gardez-vous d'en laisser dépasser quelque coin de votre mouchoir. Il paraît que dans ce pays-là, on y voit une malheureuse allusion à certaine oreille de bourrique !, et ces Messieurs de Westhalten ont leurs propres oreilles diablement chatouilleuses à ce sujet.
Gérard Michel