Le document n'est pas daté, il figure dans un registre dont les documents sont classés par ordre chronologique : le document qui le suit est daté de 1593 et on peut raisonnablement penser que A FF 11/33 date d’avant cette date.
Le document ne cite pas le nom de l'accusée. Les seuls noms cités sont Margreth MÜNTZENBERGERIN, sa „Gespielin… auch eine Zauberin“, sa comparse, elle aussi sorcière, Beat MEYER, propriétaire à l’époque des faits du “…hoff Muethersheim » et qui avait été son patron et également Meister Hans SCHLEDENMEYER, qui aurait dû être victime des maléfices de l’accusée. Il aurait dû devenir aveugle, mais qui ne l’a pas été, puisqu’au moment des faits, alors qu’il chevauchait entre Thann et la forêt de Pulversheim, il chantait des cantiques, ce qui le protégeait de tout maléfice !
Nous avons failli oublier ROTMENNLEIN, (littéralement le petit homme rouge) l’esprit mauvais, le „fiancé“ satanique de l'accusée.
Ce document est très incomplet: il se réfère à un autre texte, qui n'a malheureusement pas été conservé, qui lui, énumère les différents items des aveux prononcés par une femme accusée de sorcellerie devant l'assemblée des Sibner à l'issue de son interrogatoire. Notre document ne recopie que les items 4, 6, 11, 12, 13 et 14.
Curieusement, cinq de ces six items évoquent des maléfices qui ont causé, ou auraient dû déclencher des phénomènes météorologiques destructeurs de récoltes, brouillards et gelées blanches accompagnées parfois de grêle de petit cailloux.
Le seul maléfice, le premier cité, qui n’appartienne pas à cette catégorie, se trouve dans le premier paragraphe de l'item 4: elle s’est vengée de son patron, Beat MEYER, décédé au moment du procès, chez qui elle était chargée de tondre les moutons. Son patron lui avait fait manger de la viande d’un mouton crevé, elle s'est vengée en tuant une vache appartenant à la ferme, qu’elle avait trouvée dans un pré alors qu’elle se rendait à Neuenburg!
Pour ce qui est du lieu, il n'est pas précisé et les noms cités ne permettent pas une localisation précise: il est question de Muetersheim, puis du Rhin vers lequel elle et ses comparses se rendaient en traversant la Hardt et qu’elles franchissent, apparemment près de Neuenburg, l’une chevauchant un bouc, l’autre une fourche! Il est question plus loin de Pulversheim et de Thann et d'un Sanct MARTIN, sans que l’on puisse deviner à quelle localité ce saint MARTIN se réfère. On trouve également Zollheußlein et Pulver Thurn, la maisonnette de l'octroi et de la tour aux poudres, sans qu'on sache dans quelle localité placer ces deux édifices. Rouffach est citée à plusieurs reprises: il semble, mais sans véritable certitude, que certains des événements évoqués se soient déroulés à Rouffach. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, on peut se demander ce que ce document fait dans le Malefiz Buch de Rouffach.
- le premier maléfice devait rendre Meister Hans SCHLEDENMEYER aveugle, ce qui n’a pas été le cas.
- le second, préparé "in dem Gaßlein, zu Sanct Martin“ n’a pas donné de résultat
- le troisième, préparé près du Pulver Thurn, a causé d’importants dégâts dans le vignoble, il était accompagné d’une grêle de petits cailloux.
- le quatrième, préparé près du Zollheußlein , n’a pas donné de résultat, lui non plus
- le dernier, préparé dans le „allmend weg“, « der an reben und früechte großen schaden gethon“.
C’est le texte le plus „précis“ que nous ayons trouvé, qui décrive avec quelques détails, la manière dont sont préparés ces intempéries. C’est la seule fois où nous avons rencontré les mots flammes et fumées.Elles se préparent soit directement dans le sol, dans un cercle tracé par le Malin, soit dans un pot en terre. Pour ce qui concerne les ingrédients, aucune information précise : « etwas », quelque chose, quelques petits cailloux ou « ettlich körner », quelques graines. Dans d'autres textes nous avons trouvé des cheveux et souvent de la salive... tous des ingrédients qui ne relèvent pas d'un savoir approfondi des phénomènes météorologiques et de leurs causes!
Zum 4., alß sÿ vor Jaren, da weÿlandt Beat MEYER, den hoff Muethersheim, noch ingehapt, daselbsten die Schaff geschoren, und man Iren von einem abgangenen schaff zueßen geben, hab sÿ deßwegen ein neidt auf Beat MEYERn und sein gesindt gelegt und auf ein zeÿth, alß sÿ ohne das gehen Neüenburg raisen wöllen, ein rothe Kueh gehen Muethersheim gehörige, auf dem weg funden, die auß bevelch ROTMENNLEINs, Ihres buehlen, der Iren begegnet, mit der linckhen handt, in des Teuffels namen geschlagen, davon die Kueh erlamet.
Dabeÿ seÿe auch Margreth MÜNTZENBERGERIN, so auch ein Zauberin, gewesen, under der herdt herumb gangen, was sÿe aber für schaden gethon, könne sÿ nit wißen. Hieruf, und nach verrichtung deßen, beid miteinandern gehn Neüwenburg, die Margreth auf einer Gabell und sÿe, auf einem Bockh, der gehen Muethersheim gehörig gwesen (sic), geritten, blößlich uber die Ban, in der Hardt gefahren, biß an den Rhein gestaden, und alß sÿe widerumben allher wollen, und über Rhein khommen, habe Ir Buehl, mit dem Bockh gewartet uf welchem sÿ widerumbengeritten und sollicher ritt, habe dem gaißbockh nichtzit geschadet.
Il y a de cela quelques années, elle travaillait encore chez Beat Meyer qui tenait à cette époque la ferme Muthersheim. Elle y tondait les moutons et, un jour, on lui avait fait manger de la viande d'un mouton crevé. Elle en conçut une grande rancœur contre son maître et ses gens. Un jour qu'elle se rendait à Neuenbourg, elle croisa sur son chemin une vache de la ferme. Sur ordre de son fiancé satanique, Rotmänlein, elle frappa la bête de sa main gauche, en invoquant le diable. Sur quoi la bête fut paralysée.
Margreth Muntzbergerin, sa comparse, sorcière comme elle, avait ce jour-là également passé entre les bêtes du tropeau, mais elle ne sait pas ce quelle avait causé comme dégâts.
A la suite de cela, elles reprirent ensemble la direction de Neuenbourg, la Margreth chevauchant une fourche alors qu'elle même montait un bouc... Dans cet équipage, elle traversèrent plus tard le Rhin, "über Rhein khommen" !
Zum 6ten. [3] als Meister Hans SCHLEDENMEYER, auf ein zeÿtt, so ungevor zweÿ Jar, von Thann alher geritten, und in das Pulversheimer Holtz khomen, seÿe sÿ und vorgedachte Margrethen, Ier gespiel, ungevohr [..] der Almendt geweßen, Spen zeholen, zu denen ROTTMENLEIN khommen, und Inen ein Ring in die erden gemacht, auch ettlich steinlein darin geworffen, sÿ das mit einer steckhen den er Iren geben, ruehrn heißen, darauß sollte Irem rathschlag nach, ein Hagell und Nebel werden sein, und Magister SCHLEIDENMEYER blindt gemacht haben, dieweil aber Er, gaistliche Lieder damahlen gesungen und sich gahr wolgesegnet, haben sÿ nichtzig vorrichten können.
Item 6: il y a de cela environ deux ans, Hans Schledenmeyer passait à cheval dans la forêt de Pulversheim, alors qu'elle même et sa comparse Margreth étaient occupées à ramasser des copeaux. Rothmänlein les rejoignit, creusa le sol en forme de cercle, jeta quelques cailloux à l'intérieur du cercle et leur demanda de remuer les cailloux avec un bâton qu'il leur avait remis. De tout cela il devait sortir de la grêle et du brouillard destinés à rendre Magister Scheidenmacher aveugle. Ce qui n'arriva pas, puisque, tout au long de sa chevauchée à travers la forêt, il avait chanté des cantiques, qui l'avaient protégé du maléfice!
Zum 11ten, so hatt sÿe auch Margreth MUNTZENBERGERIN, Ihr Gespeil (sic), vor 5 oder 6 Woche, ungevohr, in dem Gaßlein, zu Sanct Martin allhie, dahin auch Ir Buel khommen, ein reiffen allso gemacht, er habe, ROTTMÄNNLEIN, Inen beiden, in einem Hafen, den die MÜNZENBERGERIN mit Iren bracht, ettwas geben, das mit einem steckhen ruern heißen, daruß ein großer Flamm und Dampff gangen, so zue einem reÿffen worden, aber nit wohl gerathen, sonder ohne großen schaden abgangen.
Item 11: Il y a cinq ou six semaines, elle et sa comparse ont concocté une gelée blanche, dans la ruelle qui mène à Saint-Martin. Rottmänlein leur remit "etwas", quelque chose qu'elles versèrent dans le pot que Margreth avait apporté. Rottmänlein leur ordonna de remuer le contenu du pot, ce qui produisit de grandes flammes et un nuage de vapeur qui causèrent une gelée blanche (ein Reiffen). Mais cette gelée ne réussit pas bien et disparut sans causer de dégâts...
Zum 12ten., es habe ROTTMÄNNLEIN Ir Buehl, sÿe vor dreÿen oder mehr wuchen, zu nacht beÿ dem geweßten Pulverthurn, über die Stattmauern zu Irem garten, an dem almend weg, getragen, und von Rufach herauffer, auf einer gabell geritten, khommen, damahlen Inen der böß gaist ettlich körner, in ein feühr, welches sÿe angemacht, geworffen. Alß sÿ das geruert, seÿe ein reiff worden, so erstlichen kleinen steinlein geben und die reben, die er getroffen, übel verderbt hatt.
Item 12: il y a de cela trois semaines ou plus, Rottmännlein l'emmena de nuit (sur une fourche!), par-dessus les remparts de la ville, dans son jardin. Là elle alluma un feu, y jeta quelques graines que lui avait données l'esprit mauvais. Elle remua le tout et il en sortit une gelée d'où jaillirent de petits cailloux qui causèrent dans grands dégâts dans les vignes.
Zum 13ten. hatt sÿe auch bekhent, daß sÿ abermahln und den dritten reiffen, beÿ dem Zollheußlein widerumb mit hilff Margreth MÜNTZENBERGERIN durch anweÿsung Ihres Buehlen ROTTMÄNNLEINs gemacht, dohin sÿ auch Ir gespeil, auf gablen geritten, dißer Reiff, habe nit viel schaden gethan.
Item 13: elle reconnaît également avoir concocté une troisième gelée, en compagnie de Margreth, près du Zollheusslein, sur l'injonction de son fiancé satanique... mais cette gelée ne causa pas de dégâts...
Zum 14ten., ist sÿ bekhantlich daß sÿ den vierthen reiffen, an dem allmend weg zugericht, an welches orths sÿe Ir Buehl getragen und auch vielgesagte Margreth Ir gespeil von Rufach gebracht, Inen beiden in einem haffen ettwas geworffen, das abermaln ruern heißen, damit sÿ gehorsamet, und alß sÿe in dem hafen geruerh, habe die materie ein großen flam und rauch geben, darauß ein reiff worden, der an reben und früechte großen schaden gethon.
Item 14: la quatrième gelée a été préparée sur le chemin des communaux où son fiancé l'avait portée, (sur une fourche?) ainsi que Margreth, sa comparse. Après avoir versé "quelque chose" dans un pot il leur ordonna de remuer le contenu. Il en sortit une grande flamme et une épaisse fumée qui engendrèrent une gelée qui causa de grands dégâts aux vignes et aux récoltes..
Le texte s’arrête là. Nous n'en saurons pas plus... Ni sur le sort réservé à la malheureuse, peu experte en maléfices météorologiques. Ni sur les obscures raisons pour lesquelles on a recopié ces items "météorologiques"...et ressorti une affaire peut-être ancienne...
Le texte reproduit des items d'Urgichten, c'est à dire les aveux enregistré après un interrogatoire: le document qui suit habituellement les Urgichten est le verdict, et on sait que dans les affaires de sorcellerie le verdict est toujours la mort, brûlée vive sur le bûcher... Il n'y a pas de grâce et pas d'appel... Qu'a-t-elle fait pour mériter ces souffrances et une telle fin?
Transcription et traduction: Gérard Michel