Le peuple ployant sous la charge des impôts Musée Carnavalet, eau forte colorée 18ème siècle
… adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur, des droits et revenus des revenus de la Ville…
Les fermiers dont il sera question dans cet article ne sont pas des agriculteurs ou des éleveurs, mais des collecteurs d’impôts. La perception de l’impôt, taxes, amendes, droits, ... dus par la communauté, est amodiée à un fermier, qui avance, sur ses fonds propres, la somme totale des impôts à recouvrer. Puis, ce fermier collecte lui-même, avec l’aide de commis, les impôts affermés, pour récupérer son avance : ce système procure à la ville des liquidités immédiates et permet, on s’en doute, des bénéfices substantiels pour le fermier, qui ne se prive pas de surtaxer les contribuables.
Cette avance de fonds représente pour le fermier des sommes considérables et laisse supposer qu'il dispose, lui et ceux qui se portent garants, d’une fortune et de liquidités suffisantes: les sommes sont impressionnantes et varient entre 6000 et 6500 livres tournois à rembourser, annuellement, pendant trois années consécutives!
Cette charge de fermier des droits et revenus de la ville est accordée, pour une durée de trois ans, au plus offrant et dernier enchérisseur d’une mise aux enchères publiques. Auparavant, a lieu une campagne de publications et d’affiches pour annoncer la vente. Les enchères s’ouvrent sur une mise à prix initiale proposée par le fermier sortant, sur la base de l’exercice précédent. On s’attendrait, au vu des sommes engagées, à ce qu’il y ait peu d’enchérisseurs, mais on assiste au contraire à de féroces batailles opposant les candidats briguant cette charge de fermier. C’est que l’opération s’avère le plus souvent extrêmement avantageuse, pour celui qui dispose des fonds nécessaires et d’amis sûrs pour se porter caution.
Les archives de la ville conservent les états relatifs à ces enchères, de 1685 à 1786, avec quelques années d’interruption. On y trouve le nom des fermiers qui ont tenu cette charge pendant ce siècle : Nicolas le Clerc, Golbéry, Pierre Malaisé maire du Val de Villé et marchand de sel, Dominique Cronniller de Saal au Val de Villé également marchand de sel, Luc Ryss, André Wirth, Daniel Seitz, Léonard Etlinger, Jean Dominique Besson, Bussy prévôt de la communauté de Pfaffenheim, Christmann bourgeois aubergiste de la Ville de Colmar, François Ignace Voché, Voché fils… De riches bourgeois de Rouffach figurent parmi ces noms, et la présence de deux marchands de sel est significative…
Droits, taxes, impôts, amendes…
Toutes ces ventes aux enchères suivent un rite immuable et les rapports suivent tous le même canevas. Au début :
Ce jourd’huy, quinzième janvier mille sept cents, Nous, François Xavier Dietreman, Conseiller du Roy au Conseil supérieur d’Alsace, subdélégué de Monsieur Le Pelletier, chevalier, Seigneur de la Houssaye, Conseiller du Roy en ses Conseils, Maître des Requêtes ordinaires de son Hôtel, Intendant de la province d’Alsace et de l’armée du Rhin, étant en l’hôtel de Ville de Rouffach, après les publications que nous avons fait faire, portant qu’il seroit le dit jour, par Nous, procédé à l’adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur des Droits et Revenus pendant trois années consécutives, à commencer du présent mois de janvier et finir au dernier décembre mille sept cent huit, aux conditions suivantes : scavoir que le fermier payera le prix de sa ferme de quartier en quartier et par avance entre les mains du Receveur de ladite Ville sur ses quittances, pour en être l’employ par luy fait suivant les ordres des Bailly et Magistrat des la Ville et donnera caution bonne et solvable pour la sûreté du prix du bail ; qu’il ne pourra prétendre aucune diminution au sujet de sa ferme, sous quelque prétexte que ce puisse être… »
A la suite, et avant le début des enchères, il est fait lecture publique du détail des taxes et impôts que le fermier aura à recouvrer. Le lecteur en trouvera ci-dessous la liste figurant dans les procès-verbaux de ces ventes :
- droit de boucherie
- Standgelt, droit de place des marchés et des foires
- Umgelt, taxe sur la vente et le débit de vin
- Fuederzoll et Fesslinzoll, taxe sur le transport du vin
- droit de pesage
- droit de pontenage
- taxes sur les rentes en argent
- taxes sur le débit de sel
- taxes sur le débit des quatre espèces de fer
- droit sur la vente du beurre et du fromage
- Stumpffgelt, droit sur la coupe de bois de charpente
- amandes dues par les femmes, les boulangers, les bouchers
- droit de pesage des grains
- taille en argent
- droit de manance… etc.
Le lecteur trouvera cette liste complète et détaillée en annexe à cet article.
A l’extinction de la dernière chandelle…
Après la publication des revenus, des clauses et des conditions, il est procédé à l’adjudication de la ferme, la mise à prix ayant été fixée par le précédent fermier.
La dernière enchère suit une coutume très ancienne que nous détaille le protocole de la vente de 1707 :
« Après quoy nous avons fait allumer plusieurs chandelles en la manière accoutumée, pour voir si, pendant le feu d’icelles, quelques-uns des dits assemblants ne feroient encore une plus forte mise, mais s’étant toutes consumées et éteintes, sans que personne ait voulu enchérir davantage et faire la condition de la Ville meilleure que le dit Malaisé, nous avons adjugé et adjugeons les revenus de la Ville de Rouffach au sieur Malaisé pendant les dites trois années… »
Après un âpre combat opposé à Golbéry, Malaisé a emporté le marché pour 6540 livres, annuelles, pour une durée de trois ans !
Une indemnité en sel pour le bailli, le prévôt et le Magistrat…
- le fermier sera tenu de payer annuellement au bailli 4 boisseaux de sel, au prévôt 2, à chaque conseiller du Magistrat un demi quintal, au médecin un boisseau, du poids de trente-trois livres le boisseau.
Serait-ce là, un pot de vin déguisé, le prix du service, que se sont réservé les ministériels et élus du Magistrat ? Mais que vient faire ici le médecin ? Ils sont payés en sel, (le boisseau = environ 18 litres), que l’on qualifiait d’or blanc, sources de richesse, de pouvoir et de convoitises. Ce n'est sans doute pas un hasard si deux des fermiers du siècle ont été marchands de sel ...
Ce système d'affermage des impôts, injuste et impopulaire, disparaîtra avec la Révolution française, dont il sera, avec les fermiers généraux une des principales causes.
Annexe :
Article premier
Le droit de boucherie qui se paye annuellement par les bouchers de la ville, à raison de trois livres par chacun de ceux qui débitent la grosse viande et de deux livres par chacun de ceux qui débitent de la menue viande
Article 2ème
Le droit appelé Standgelt, qui se paye par les marchands qui estallent leurs marchandises aux jours des quatre foires ordinaires consistent en l’accommodement que le fermier fait avec les marchands amiablement par an, dont les meilleures places, qui sont à couvertes, ne se font payées depuis vingt ans qu’à trois et quatre livres tournois pour avoir les places assurées les jours de foires et marchés.
Et il est à remarquer que les autres places, qui ne sont pas à couvertes, se payent annuellement à raison de vingt jusque à quarante sols tant aux jours de foires qu’aux jours de marchés, aussi pour être assurés de leur place.
Article 3ème
Le droit de Standgelt qui se paye par les marchands qui estallent leurs marchandises aux jours des quatre foires ordinaires / cet article ne peut point être compris dans le précédent, attendu que ces marchands sont taxés par deux députés du Magistrat suivant leurs marchandises et places qu’ils occupent. Lesdites places se taxent depuis un sol jusqu’à quinze sols, de quoy la moitié dudit Standgelt appartient au fermier et l’autre moitié à la fabrique de l’église paroissiale. Les revenus de l’article précédent appartiennent seul au fermier.
Article 4ème
Le droit d’Umgelt qui se paye par les cabaretiers et autres vendant vin en détail dans la Ville et juridiction de Rouffach faisant le tiers du total suivant ce qui s’est pratiqué par le passé.
Les cabaretiers payent de chaque mesure de vin qu’ils débitent (à raison de) six pots (par mesure) ou la valeur d’iceux dont les deux tiers appartiennent au Seigneur et l’autre tiers au fermier
Article 5ème
Pareil droit d’Umbgelt qui se paye par les cabaretiers et autres vendant vin en détail dans la moitié du village de Westhalten dépendant de ladite Ville et de même que (sur le même pied que) l’article cy dessus.
Article 6ème
Le droit appelé vulgairement Fuederzoll
Les voituriers qui viennent achepter du vin dans ladite Ville payent de chaque Fueder contenant vingt mesures, quatre sols, dequoy deux tiers appartiennent au Seigneur, l’autre tiers au fermier.
Il faut remarquer que dans cet article l’on y a compris le Fesslinzoll qui est le droit que l’on paye aux porteurs / ce qui est au-dessous de vingt mesures se paye à raison de deux et deux tiers deniers par mesure, dont encore les deux tiers au Seigneur et l’autre tiers au fermier.
Article 7ème.
Les deux tiers du droit de pesage, qui se payent des grains qui s’achètent et se vendent à la halle à raison de huit deniers par sac de six boisseaux, de quoi il revient au Seigneur un tiers et les deux autres tiers au fermier.
Article 8ème
Le droit de pontenage se paye par les voituriers chargés ou non, chargés en allant et en revenant, à raison de dix et deux tiers deniers par chariot et la moitié d’iceux par charrette.
Article 9ème
Le droit appelé vulgairement Standgelt qui est dû par les marchands qui viennent étaler leurs marchandises en cette ville :
Ce droit de Standgelt est celui qui se paye tous les samedis jours de marchés ordinaires par les marchands, à raison de huit deniers qui sont à couvert et ceux qui ne sont pas à couvert à six et à quatre deniers. L’article 2 et 3ème regardent les quatre jours de foire.
Article 10ème
Les rentes en argent montant à six cent quarante-trois livres :
Ces rentes se payent par différents particuliers suivant le registre que l’on remet ordinairement au fermier et sont des rentes foncières et hypothécaires.
Article 11ème
Le débit du sel, qui se vend en détail à raison de deux sols huit deniers la livre, étant libre au fermier d’acheter le sel en gros où bon lui semble suivant les privilèges de la Ville / il parait qu’on a oublié l’achat en gros du dit sel, de quoi la Ville est en possession et qui fait la meilleure partie de la ferme.
Article 12ème
Le débit des quatre espèces de fer appelé Stabeyssen, Kesseleyssen, Knopffeÿssen et Gettereyssen
Article 13ème
Le droit provenant de la vente du beurre et du fromage (conforme aux baux précédents.
Ce droit est au fermier dont il a la liberté de débiter du beurre et du fromage s’il le juge à propos
Article 14ème
Le droit appelé Stumpffgelt
De la coupe de bois de charpente qui se paye par les bourgeois de cette Ville et les habitants des villages de Gundelsheim et Orschwihr pour les bois qui leur sont nécessaires pour bâtir. Ce droit se paye à raison d’un sol quatre deniers par poutre et pour les bois de cloison ou menu bois à raison de deux et deux tiers denier.
Un chêne à raison de huit sols et un arbre de sapin pour servir à un pressoir à raison de quatre sols. C’est au Magistrat à en régler le prix et au forestier à marquer les arbres avec les armes de la Ville, sur les ordres du Magistrat.
Article 15ème
Pareil droit qui est dû par les habitants de Herrlisheim, Hattstatt et autres particuliers qui possèdent des bois propres, bien entendu que l’adjudicataire ne pourra rien exiger des étrangers qui accepteront des bois de cette ville, ni des bois qu’il conviendra nécessaires dans les magasins du Roy et pour le chauffage des troupes du Roy.
Cet article contient que la communauté de Herrlisheim et Hattstatt ont des bois en propre dans le ban de cette Ville et sont obligées de demander permission d’en couper pour leur usage au Magistrat et sont obligés de payer par pied de chêne huit sols.
Article 16ème
Le sixième denier des grandes amandes qui monteront depuis six jusqu’à douze livres bâloises. Celles qui excèderont cette dernière somme appartenantes (sic) à la Seigneurie. Le reste des amendes appartient au Seigneur.
Article 17ème
Le cinquième denier des petites (grosses) amendes qui n’excèderont pas six livres appartient au fermier et les surplus au Seigneur.
Article 18ème
Les amendes appelées vulgairement Aÿnung (einung) qui proviendront des dégradations des bois et mésus qui pourront arriver (qui se commettent) dans le ban de cette ville.
Article 19ème
Les deux tiers des amendes qui proviendront des dégradations qui se pourront faire dans les bois appelés Hochberg à condition que l’adjudicataire sera tenu de payer aux officiers de justice leur droit ordinaire et accoutumé lorsqu’ils auront dicté les amendes mentionnées ci-dessus. L’autre tiers appartient au Seigneur.
Article 20ème
Le tiers des amendes qui seront ordonnées et dictées contre les femmes / est à remarquer que l’autre tiers appartient à l’Eglise et le troisième tiers au Seigneur.
Article 21ème
Les amendes qui proviendront des boulangers et bouchers qui contreviendront au règlement de police fait et à faire par le Magistrat de cette Ville.
Article 22ème
Le droit qui se paye par le pesage du grain que les bourgeois et habitants (habitant cette ville) font moudre pour leur subsistance à raison d’un sol par résal.
Cet article n’étant pas en usage depuis plusieurs années, l’ayant trouvé à charge au public, sauf à le rétablir, s’il estoit ainsi ordonné
(Nota : les bourgeois ayant fait leur remontrance comme ce droit du pesage des grains leur est onéreux, il a été supprimé sous le bon plaisir de Monsieur l’intendant et de l’avis des Baillis et Magistrats de cette Ville, le revenu qu’il produisoit n’étoit pas d’ailleurs considérable, sans préjudice néanmoins du droit de la Ville en cela, qu’elle pourra rétablir quand elle le trouvera convenable).
Article 23ème
Le droit de pesage de la marchandise, à condition que l’adjudicataire sera obligé d’entretenir à ses frais un commis pour en faire la levée et lui faire prêter le serment en tel cas requis et accoutumé.
Il est à remarquer que l’on paye par ceux pesant deux sols huit deniers sur la grand balance et quatre deniers jusqu’à un sol de la petite balance, et ce de toutes les marchandises sui se pèsent dans la Douane et cela ne regarde pas le droit de pontenage, puisque tous ceux qui pèsent quelque chose sont obligés de payer.
La taille en argent montant à mille livres tournois par an, payable en deux termes égaux, à scavoir moitié au Jour de l’An et l’autre moitié à la saint Jean-Baptiste chaque année.
Le droit de manance conformément à l’ordonnance rendue par M. Delafond Intendant d’Alsace du 18 août 1699.
(Nota : que ce droit n’a eu lieu que dans le temps que le Canal, qui conduit de Rouffach au Neuf-Brisack a esté construit, ayant pour lors esté ordonné par M. Delafond, que les vivandiers, bouchers et autres trafiquants qui ont suivi les troupes employées audit Canal, payeroient le droit d’Umbgelt et celui de la Taille, vulgairement appelée Gewerff, tant au profit du Seigneur qu’à celui du fermier des revenus de cette Ville suivant qu’il est expliqué les articles ci-dessus concernant le droit d’Ombgelt et ceux du Gewerff, mais ces droit ne se payent plus depuis le temps que les travaux de Neuf-Brisack ont cessé, ainsi l’article ci-dessus est supprimé et l’ordonnance de M. Delafond ne se trouve plus.
Les réserves :
Suivent les réserves, c’est-à-dire une liste d’autres taxes et droits dont le recouvrement ne relève pas du fermier
- la glandée et pâturages
- la tuillerie
- la pesche
- les fossés et remparts
- les carrières
- les maisons communes (ensemble la boutique à cotté du corps de garde de la place)
- les rentes en grains et en vin destinées pour le payement des gages du Maître d’Ecole et des gardes du territoire
- le droit de pâturage dus par les communautés de Herrlisheim, Soultzmatt et Orschwihr.
- le droit de fondation des anniversaires Thiebaud Guering et du comte de Manderscheid (en 1783)
- les prairies au bas du Hinterwald
- les dommages et intérêts provenant des délits forestaux
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