Jean-Michel VOGELGSANG, prêtre rouffachois, est l’auteur d’un Journal dans lequel il témoigne des événements qu’il a observés dans sa ville tout au long des années de Terreur. Prêtre réfractaire ou non-jureur, à la Constitution civile du Clergé, promulguée en juillet 1790, Jean-Michel Vogelgsang est contraint à la clandestinité : la vie d’un prêtre réfractaire, s’il est dénoncé et retrouvé, se termine souvent sur l’échafaud. Dès lors, il vivra caché, fuyant d’une maison amie à une autre, ou terré dans la maison familiale, dans l’actuelle rue Poincaré, caché sous le plancher du grenier. Il poursuivra cependant son ministère, visitant les malades et administrant les mourants, se déguisant parfois en femme pour ne pas être repéré…
Jean Michel VOGELGSANG été baptisé à Rouffach le 29 septembre 1761. Ses parents étaient Jean VOGELGSANG, vigneron et Catherine BEYERLE. Ils s’étaient mariés à Rouffach en février 1758 et Jean Michel était leur premier enfant.
Il fit ses études à l’école des franciscains de Rouffach avant de rejoindre l’Université épiscopale de Strasbourg puis le séminaire de Porrentruy. Il fut ordonné prêtre le 23 décembre 1786, il avait 25 ans. Il fut nommé vicaire du curé Louis JACOB à Logelheim en février 1787. C’est là qu’il fit la connaissance de Chrétien Truchsess de Reinfelden, commandeur de l’Ordre teutonique de Rouffach, mais résidant à Appenwihr.
C’est à Logelheim qu’il est surpris par la Révolution. Il refuse de prêter serment à la Constitution et quitte Logelheim en février 1792. Après un passage à Ettenheim, il rejoint son ancien paroissien, Chrétien Truchsess de Reinfelden à AFFELTRACH
Il quitte apparemment à trois reprises son exil à AFFELTRACH, puisque l’un de ses cahiers porte le titre de Quatrième voyage d’Affeltrach à Logelheim. Il quitte Affeltrach le 1er novembre 1792 et arrive au terme d’un voyage plein de péripétie le 11 novembre 1792.
Il se rend fréquemment à Rouffach, de nuit et en cachette, pour rendre visite à son père et ses sœurs. Du 26 mars 1793 au 28 mai 1793 il vit caché chez Michel BELLICAM et commence à rédiger sa KRIEGSCHRONIK le 19 mai. Il décide de revenir à Rouffach où il arrivera le matin du 29 mai 1793 et où il vivra caché derrière des volets clos de la maison familiale, à l’angle de la rue Pairis, au n° 35 de l’actuelle rue Poincaré, ou terré dans le grenier.
Il convient de rappeler ici qu’en 1793 Rouffach était entourée d’un mur d’enceinte et qu’on y pénétrait par le nord par la porte de Colmar, appelée autrefois Neues Thor et qu’on en sortait au sud par la porte de Cernay, Rheingrafer Thor et à l’est par la porte de Breisach, ancienne Froeschwiller Thor... Tout le passage Nord Sud se faisait donc nécessairement en traversant toute la ville, sans possibilité de la contourner.
Et donc VOGELGSANG, dans sa maison, derrière les volets clos, pouvait observer tous les mouvements de personnes, de blessés, de malades, de prisonniers, de troupes, les manifestations, les processions, qu’il a consignés avec une grande précision et un grand luxe de détails dans sa chronique...
En octobre 1796 on le retrouve administrateur de Logelheim puis administrateur de Rouffach le 20.02.1797 jusqu’au retour du curé Georg Frédéric OSTERTAG en 1802, OSTERTAG qui avait lui aussi refusé de prêter le serment à la Constitution et s’était exilé en Suisse.
Il adhère au Concordat le 06.09.1802 et est nommé vicaire primissaire à Rouffach de 1802 à 1818. Il sera conseiller municipal à Rouffach en 1819
Puis il sera nommé Principal du Collège de Rouffach de 1821 ( ?) - 1835.
Il dessert l’ancienne église des Récollets à partir de 1835
Il décède le dix-sept mai 1844, à midi à l’âge de 82 ans. Son ami de toujours, le père Balthasard (Sébastien FRANTZEN, prêtre ex-récollets, dit Père Balthasard) décèdera le 6 mars 1846 à 91 ans.
Le Journal de J.M. VOGELGSANG, première partie
Les fragments du journal de l’abbé VOGELGSANG dont on dispose aujourd’hui recouvrent une période qui va du premier octobre 1792 au 28 février 1840, avec d’importantes lacunes. La période la plus complète est celle qui relate les événements d’octobre 1792 à décembre 1796. Les nombreux cahiers et feuillets qui composent ce journal sont rédigés en allemand, d’une écriture régulière qui ne variera guère entre 1792 et 1840, c'est-à-dire entre l’année de ses 31 ans et celle de ses 79 ans...
Thiébaut WALTER a publié dans la Revue d’Alsace, en 1929, plusieurs pages du journal de l’abbé VOGELGSANG, recouvrant la période allant de janvier 1788 au premier avril 1791. Ces pages sont en français et WALTER ne nous dit pas s’il s’agit d’une traduction: on peut se demander pourquoi VOGELGSANG aurait commencé un journal en français de 1788 à 1791 et l’aurait poursuivi en allemand de 1791 à 1840 ? En tout cas, l’original de ce document a disparu !
Trois des cahiers de ce journal, la partie la plus complète qui concerne principalement les événements de la Terreur, dont l’un a le titre de KRIEGSCHRONIK von Mai 1793 bis Juni 1794, sont conservés à la B.N.U. de Strasbourg. Trois autres cahiers, dont celui qui fait l’objet de la présente publication, Vierte Reise von Affeltracht nach Logelheim, ainsi de multiples feuillets épars appartiennent à une collection particulière.
Quatrième voyage de Affeltrach à Logelheim (traduction)
(Collection particulière) du premier novembre 1792 au 25 mars 1793. (les manuscrits de Strasbourg commencent le 26 mars !)
Le premier novembre 1792, alors que je me trouvais à table pour le déjeuner, je pris la décision de rentrer chez moi et j’en fis part à M. CAMERER.
Le deux au matin, (je fis mes adieux an den gnädigen Herrn)….et je commandai aussitôt une paire de bottes.
Le trois, je préparai mon bagage.
Le dimanche quatre, je lus la messe. A une heure, je quittai Affeltrach, avec un équipage de trois chevaux. Les autres étaient encore assis à table. Les adieux avaient été émouvants. J’arrivai à Heilbronn vers trois heures et demie. Je lus mes vêpres. Je commandai une voiture de poste qui me couta 8 F 28 K. Un émigrant dîna avec nous, il était effondré.
Le cinq, je me levai à cinq heures mais je ne partis cependant qu’à 2 heures. Mes compagnons de route étaient un juriste invalide et un homme de Wimpffen. Arrivée la nuit à neuf heures. Saucisse frite. A minuit à Stuttgart, à l’auberge du Waldhorn (au Cor de chasse, À la trompe de chasse). Rien mangé et payé 20 s. pour le couchage, sans chauffage
Le 6, départ de Stuttgart à sept heures, un curé, un de Pforzheim et une demoiselle avec nous. Une femme et son fils de Karlsruhe. A sept heures à Pfortzheim, j’ai bu […] un pianiste en direction de Rastatt. A […] heures, arrivée à Durlach, dîner froid et dormi.
Le sept, départ de Durlach à 8 heures. Avec nous M. VERGER, un officier, M. BOË, Pfälzer (un habitant du Palatinat ?) et un cordelier. Une heure et demie de route de Durlach à Karlruhe. Je me suis attardé quelques instants à admirer le château. A une heure et demie, arrivée à Ettlingen où on ne trouva rien à déjeuner. Juste une boisson. Le trajet fut plus rapide d’Ettlingen à Rastatt. Arrivée à quatre heures, dîner, départ dans l’obscurité, roulé toute la nuit. A dix heures, arrivée à Stellhoffen et à quatre heures à Bischoffsheim. De repas nulle part …
Le 8, arrivée à 8 heures à Kehl. Pas de petit déjeuner. Parti en ville à la recherche d’une voiture de poste. On me dit que la route en direction de Bâle était fermée et je pensai que je devais pousser jusqu’à Soleure. Je commandai la voiture et là on me dit que la route vers Bâle était finalement ouverte. Long arrêt à Willstatt. On changea les chevaux. A 12 heures, arrivée à Offenburg. De là nous partîmes tard après avoir déjeuné. Un juriste et un arpenteur avec nous. Cinq heures de route jusqu’à Friesenheim où nous arrivâmes à neuf heures. Pris une boisson. Entre Achenheim et Herckelsheim, nous avons rencontré un équipage renversé sur la route. Puis la route jusqu’à Herkelsheim, là le Pfälzer […], mais à Kalterbrig il faisait vraiment froid. Des dames étaient avec nous. Le café était cher, certains le payèrent 18 Kreutzer. Le jour se levait quand nous partîmes. Nous fûmes obligés de prendre la route par le dessus, nous fîmes un long chemin à pied, il faisait plutôt froid.
Sur la route de Scheideweg, nous vîmes trois autrichiens qui menaient un prisonnier, un sergent de la garde nationale. Dans cette région, était stationné ein frei Corps. Long arrêt à BINZEN. Dans les environs de Bâle, beaucoup de canons : Huningue en face.
A 11 heures, nous étions à Bâle, où nous dûmes présenter nos passeports et inscrire nos noms. Déjeuner à l’auberge de la Cigogne. J’étais très préoccupé de savoir comment j’allais me rendre en Alsace. C’était un samedi. L’un de mes compagnons de voyage voulait prendre ……
……j’étais prêt à repartir à pied, mais j’abandonnai l’idée, par crainte… Le soir, je rencontrai M BOSQUE, qui me connaissait, ce qui me mit dans l’embarras. Le soir, nous prîmes un dîner (Fasten Speisen un dîner maigre ?) à la table d‘hôtes. dîner au cours duquel s’éleva une dispute. M. Carmina et moi-même avons dormi dans la même chambre. Dans l’après-midi, je me rendis à la Chancellerie et de là je contemplai la ville. Avec M. Bosque vinrent trois autres ecclésiastiques et nous étions donc déjà 7 à vouloir rejoindre l’Alsace…
Le silence, à cause des impériaux. Aucune lumière dans les tavernes pour pouvoir y boire. A quatre heures, arrivée à Kenzingen. Bu un verre de kirsch. M. Engelman et Carmina avec nous. Nous nous sommes allongés sur les bancs, mais je ne pus fermer l’œil, je m’assis près de la fenêtre ouverte. Nous partîmes d’ici alors que le jour pointait. Nous arrivâmes rapidement à Emmendingen.
Le 9 à 8 heures à Emmendingen. Pas de repas, c’était jour de marché. Lu un peu le journal. Une commerçante de mode voyageait avec nous. Temps très brumeux. Arrivé à Fribourg à midi et demie. Déjeuner aux Deux Epées pour 1 [.] Beaucoup de va et vient à cause de nos passeports […] .le déjeuner se fit attendre. Pour entrer dans la ville et pour en sortir, nous dûmes montrer nos passeports et inscrire nos noms. Départ pour Grozingen à la nuit tombée, à 8 heures…
Les attelages allaient très lentement. Arrivée à Mühlen à minuit, dormi dans la voiture.
Le 10, sur la route de Bâle. Cette nuit j’étais assis, comme les nuits précédentes, près des fenêtres fermées. Montée de la côte. Quelques-uns descendirent de voiture. Nous nous rendîmes aux Trois Rois pour y commander la diligence de Habsheim. Le cocher ne voulut d’abord pas nous accepter, prétextant qu’il avait déjà le nombre de passagers. Tout à coup il nous quitta pour se rendre à l’auberge et y quérir des renseignements. Il en revint rapidement et accepta tout à coup de nous emmener, ce qui m’apparut très suspect. Chacun lui donna […]
Le 11, nous quittâmes Bâle le matin, à huit heures. M. Reichstetter se joignit à nous. A Saint Louis, nos bagages furent inspectés, mais personne ne nous réclama nos passeports. Des gardes nationaux nous observaient alors que nous descendions de voiture et lorsque nous y remontâmes. Mon cœur battait, mais je me redonnai du courage et je fus plus tard tout heureux d’en être si bien sorti. A Bartenheim tout était silencieux et à Sierentz tout le monde était à l’église. Près de Bartenheim nous rencontrâmes sur la route un bataillon de gardes nationaux qui nous observèrent. A Habsheim, déjeuner de midi. C’est là que nous rencontrâmes des gardes nationaux…. J’étais assez inquiet à l’idée que des gardes nationaux pouvaient également stationner à Logelheim. Mais nous n’en rencontrâmes plus dans les autres villages et je fus plus rassuré. A Ensisheim, Rémy, lieutenant des gardes nationaux s’assit à l’arrière de la voiture et nous, nous nous trouvions à l’intérieur, quatre réfractaires... A Meyenheim, arrêt pour boire. Assez longtemps avant l’arrivée à Sainte Croix en Plaine, je trouvai un prétexte pour sortir et je laissai la voiture s’éloigner. Mon bagage à l’épaule, je marchai au plus vite en direction de l’Ill. Le chemin était dégoûtant et en plus il faisait nuit, la boue et l’eau étaient mes repères. J’avais peur, mais je fis des efforts pour me dominer. Je ne rencontrai âme qui vive et je m’approchai rapidement du village que je contournai. Arrivé près de la maison de Michel BELLICAM, j’entendis les jappements des chiots : j’eus alors l’assurance que les demoiselles se trouvaient encore à Logelheim et mes craintes s’envolèrent en grande partie […]
Dans le village je ne rencontrai personne. Lorsque je fus près de la maison où habitaient les jeunes filles, je m’arrêtai pour écouter et observer autour de moi si personne n’avait surpris mon arrivée. Je me glissai rapidement dans la cour et m’approchai de la porte d’entrée de la maison : les deux petits chiens étaient sur le pas de la porte mais se tinrent silencieux. Comme j’avais vu de la lumière dans la Stube mais que je ne savais pas si elles étaient seules ou pas, je me glissai à la fenêtre. A peine y étais-je arrivé que la lumière disparut de la pièce et j’entendis appeler à la porte d’entrée : […] Je heurtai les pierres entassées devant la fenêtre, elles s’écroulèrent et produisirent un tel vacarme que les petits chiens se mirent à aboyer……
Il était sept heures, et elles étaient sur le point de se rendre chez André BELLICAM.
Le 12, j’envoyai ma première lettre à mon père pour l’informer de mon retour.
Le 13, Margaretha HERTZ se rendit à Breisach pour remettre à la Poste une lettre destinée à Affeltrach et pour prendre des nouvelles auprès de M. LAFAYE. Du 13 au 22, j’envoyai plusieurs billets à Rouffach et j’en reçus en retour.
Le jeudi 22, à 3 heures je voulus me rendre à Rouffach en compagnie de Magaretha HERZ. Nous réussîmes à passer le pont, mais la nuit était trop noire pour continuer : nous ne distinguions notre route que grâce aux reflets dans les flaques et dans la boue. Il ne nous resta qu’à rebrousser chemin. Et il se mit à pleuvoir. J’escaladai le muret qui entourait le village. Marianne avait passé toute la nuit éveillée, assise sur son lit. Au matin, je dépêchai quelqu’un pour Rouffach, avec toutes mes écritures.
Le 23 à 1 heure de l’après-midi je reçus la visite de mon Vetter Michael VOGELGSANG et la nuit tombée, à 6 heures, nous partîmes ensemble pour Rouffach. Il faisait clair de lune, dans la forêt. A la hauteur du moulin de Biltzheim, la boue m’arrivait au niveau des bottes. A 8 heures et demie nous entrions dans la ville par la porte de Froeschwiller.
Je quittai Rouffach le soir du 29 novembre, à 5 heures trente. M.HAARSTRICK le jeune me rendit visite à deux reprises. Il devait rédiger (aufsetzen) mes notes, mes écrits mais il n’osa pas entreprendre cette tâche.
Le soir du 29, à cinq heures et demie, je quittai Rouffach en direction de Logelheim, en compagnie de Michael BADER. Comme les chemins étaient détrempés nous prîmes la route. Avant la Lange Bruck, un individu de grande taille nous croisa au moment même où mon compagnon disait : « Oui, Monsieur l’abbé ! » et juste après le pont deux soldats. Nous prîmes le chemin par Niderhergheim. Nous avons dormi ensemble, dans la chambre.
Le 30, mon père se rendit chez M. Thurmann à Colmar, avec mes écritures. A ma demande, Margaretha HERZ se rendit également à Colmar. Elle m’en rapporta la triste nouvelle que Messieurs JACOB et PAYAN.
Au sujet des affaires qui me concernaient, les nouvelles étaient plutôt rassurantes.
Dans la nuit du 31, Michael BADER me rapporta de Colmar mes écrits (mes papiers) car M. PROBST lui avait assuré que si je pouvais prouver que je me trouvais encore dans le pays le 8 mai, rien ne serait vendu de mes biens.
Le lendemain, il retourna seul à Rouffach.
Le 4 décembre dans l’après-midi, Anne Marie notre servante vint de Rouffach pour me chercher : M. TSCHÄN à qui mon père avait confié le secret de ma présence ici et à qui il avait montré mes écritures, voulut m’emmener de force à Rouffach, promettant de me procurer un certificat de…. .
A cinq heures et demie, je quittai la maison par le jardin. Il faisait encore un peu jour mais bientôt il fit nuit noire et au lieu d’arriver à Niederhergheim, nous fîmes un vaste détour en direction de Sainte Croix en Plaine. La terre était profondément gelée. Dans la forêt de Biltzheim il faisait un peu plus clair. La porte de Froeschwiller était fermée, il était neuf heures.
Dans la nuit du 5, M. TSCHAEN le jeune vint me rejoindre et dans la nuit du lendemain je me rendis chez lui où se trouvait également M. GALL.
Dans la soirée du huit, Messieurs TSCHÄEN et GALL me rendirent visite à leur tour et bien souvent nous parlions fort. Ils ne partirent que vers 10 heures. Aujourd’hui nous avons eu des nouvelles de Francfort.
Le 9 on procéda à Rouffach à l’élection du maire : sur 222 voix, 162 revinrent à M KUGLER, et 45 à François Joseph ISNER, toutes des voix de patriotes. Le lendemain, lundi, il n’y eut pas d’élection. Messieurs KUGLER, PROBST et GAIOT s’étaient rendus à Colmar.
Mardi le 11 les membres furent élus. Le Amtmann SCHNEIDER eut 74 voix, M. SCHAEMEL 56, SARTORY le jeune 52 et M FRIESS 50. A l’élection des Notables il n’y avait que peu de Bürger. Aux deux élections, pas de patriotes.
Aujourd’hui j’ai à nouveau fait porter mes écritures à Colmar.
Le 10 je voulus retourner à Logelheim en compagnie de notre servante. Mais les portes de la ville n’ouvrirent que fort tard et la pluie menaçait.
Le 12, Madame BIEHLER, une religieuse Klosterfrau me rendit visite. Le […], Monsieur SARTORY le jeune demanda après moi, mais on lui fit dire que j’étais parti tôt le matin.
Le 13, M. FRIESS a chargé dans la cave de mon père 45 Ohmen de vin, à 14[.] alors qu’en réalité il valait 17 [.]. Pour le sauren Wein de cette année il lui a offert 12 [.]. Partout on disait dans la ville que je pouvais, moi ainsi que deux autres, revenir dans le pays.
Le 18 décembre, mardi, le matin à 4 heures et demie, je suis retourné à Logelheim après un séjour de près de 14 jours à Rouffach. Notre servante m’accompagna. Nous portions une lanterne que nous n’éteignîmes qu’après Niederhergheim car il faisait nuit noire. Comme à cette heure les portes de la ville étaient encore fermées, il nous fallut escalader les murs extérieurs de la ville entre la porte de Cernay et la porte de Froeschwiller, là où le mur de la poterne était en partie écroulé. De Niederhergheim nous nous hâtâmes de rejoindre Logelheim car le jour commençait à se lever. J’escaladai le mur de la cour et au moment où j’arrivai à la porte arrière de la maison, je vis quelqu’un m’observer depuis la maison d’Antoine ROTH. Ce fut aujourd’hui le dernier jour de gel.
Le 25 décembre, naissance de Notre Seigneur. Comme il n’y avait pas de prêtre dans le village, l’assemblée se rendit, comme de coutume, à l’église où on pria deux rosaires et chanta deux cantiques.
Le lendemain, les deux jeunes filles reçurent une lettre de M. KAMMERER qui demandait de mes nouvelles et qui était inquiet à mon sujet et au sujet de sa servante.
Le [.], je me rendis à Sélestat en compagnie de Margaretha HENTZ. Notre Peter nous y conduisit et nous avions 12 arbres (troncs d’arbres, grumes ?) avec nous dans la [.]. A l’aller, je ne croisai aucune personne qui aurait pu me connaître. Nous arrivâmes vers midi et tout de suite on nous informa des poursuites dont étaient victimes des religieux et d’autres personnes honorables de la part de l’ancienne municipalité qui s’était glissée dans la place, depuis trois semaines. 20 notables avaient été bannis de la ville. Rien que de tristes nouvelles là où on en attendait de réjouissantes…
Nous quittâmes le lendemain à onze heures et demie. Sur la route on rencontra une voiture avec un homme de Sainte Croix en Plaine. Nous arrivâmes à Logelheim à six heures et demie. Aujourd’hui, Andréas BELLICAM est venu à Rouffach avec le foin et la veille, notre servante était venue à Logelheim.
De Sélestat, j’ai écrit à M. KAMMERER.
1793
Le 2 janvier, M. BIEHLY, un augustin, devait arriver à Logelheim pour prendre en charge la paroisse. C’est tout au moins ce que tout le monde ici croyait, mais il ne devait sans doute pas avoir très envie de venir parce qu’il ne vint pas et on n’entendit plus parler de lui.
Le 4 janvier, à une heure et demie notre servante de Rouffach nous apporta une triste nouvelle : la nuit précédente, à minuit, NITHARD, nommé commissaire du département, est arrivé à Rouffach avec une division de Dragons et de Cavaliers du Régiment La Reine. Les raisons de cette visite désagréable n’étaient certes pas encore connues mais on supposait que c’était à cause de la malheureuse église des franciscains, qui, dans la nuit du 29 au 30 décembre avait été fracturée et dans laquelle, le lendemain, une foule de gens s’était rassemblée pour prier et fut dispersée par la municipalité, soutenue par des hallebardiers. Une autre raison pouvait être les Emigranten , weil man vorgibt die alte Munizipalität wäre in Verfertigung derselben nicht allzu getreu gewesen. parce qu’on pensait que l’ancienne municipalité n’avait pas était très respectueuse de la loi dans leur déclaration…..La ville devait verser un supplément quotidien de 10 [.] à chaque soldat. Beaucoup avaient récemment pris la fuite (déserté).
Nouvelle frayeur inattendue pour les gens de Rouffach qui venaient à peine de recommencer à profiter d’un répit et qui se ressentaient encore des pertes subies lors de l’horrible affaire du 20 mai.
Nouveaux chagrins également pour mon vieux père au sujet de son fils et nouveaux soucis également pour moi-même.
Le 5 janvier notre servante st venue ii pour m’informer des événements de Rouffach. NITHARD y tiendrait un vrai tribunal d’inquisition.
Le 6 janvier Maurice SIFFERT vint à Logelheim : il dit que la rumeur circulait que je me trouvais à Rottweil chez M. MENTZER.
Le 14, M. FISCHESSER vint à Logelheim pour célébrer deux mariages. Au premier il fut invité pour le repas de midi et au deuxième il but 8 verres de vin sans prendre la peine de s’asseoir. Toutes les deux mariées étaient des filles de bergers. On le vit embrasser 3 femmes.
Le 27 janvier on tint ici une heure de prière, comme les dimanches.
Le 13, on avait récolté des voix, voté, Stimmen aufgenommen pour savoir si on devait ou non laisser la vie sauve au roi.
Le 22, notre servante de Rouffach vint nous voir, porteuse d’une lettre : NITHARD poursuivait son œuvre d’inquisiteur et mon père s’était rendu le 14 à Colmar. Ces jours ci on s’était livré à Colmar à une poursuite active des religieux non jurés et qu’on en avait conduit une partie au collège et une autre hors du pays.
Le 25 parut l’arrêté du département du 10 janvier, concernant les prêtres déportés et ceux qui leur donnaient asile : les premiers étaient passibles de 10 ans de prison, les autres étaient condamnés à entretenir chez eux 6 soldats et de leur payer une solde de 20 [..] aussi longtemps que durerait la guerre. Les lieux de pèlerinage étaient tous fermés. Douze personnes d’ici (de Logelheim ?) qui voulaient se rendre à Marienstein ont été arrêtées à un quart d’heure du pèlerinage et renvoyés chez eux.
Le 27, j’ai envoyé Maurice MÜLLER à Rouffach, porteur d’une lettre dans laquelle il était question de [.] ainsi que de mon procès dont il me rapporta une réponse.
La soirée fut une bien triste soirée pour nous : nous apprîmes que plusieurs personnes de Sainte Croix et de Logelheim étaient au courant que je me trouvais ici. Je pris avec tristesse la décision de quitter le village. On assurait également que le roi avait été décapité lundi 2 à 10 heures après qu’on l’eut conduit pendant quatre heures à travers les rues de la ville.
Le 29, le matin vers trois heures, je quittai la maison, en compagnie de Maurice MÜLLER. Les adieux furent touchants et on pleura beaucoup, moins cependant qu’avant-hier, notre peine s’étant quelque peu atténuée depuis. Le sol était gelé profondément mais c’était un soir de lune. Jusqu’à Ostheim nous ne rencontrâmes personne. Avant Guémar nous croisâmes deux hallebardiers. A huit heures et demie nous étions déjà à Sélestat où je me rendis immédiatement au relais de poste Pferdpost pour y réserver une place dans la diligence. Ce n’est qu’après que je me rendis à la Briefpost où je restai jusque vers le soir. Maurice, lui, retourna à la maison à midi. Maintenant le sol avait dégelé et la route était boueuse. Je fus vu par LANFREY et BASQUE.
Le 30 janvier, le matin à 9 heures, arriva la diligence dans laquelle je trouvai une place dans le cabriolet. En cours de route un homme de Rouffach monta dans la voiture avec lequel je m’entretins un long moment et nous parlâmes de Rouffach. Après le repas que nous prîmes à Matzenheim , je m’installai à l’intérieur de la voiture. L’homme prétendait me connaître. A trois heures et demie nous arrivâmes à Strasbourg. A la porte de la ville, la diligence dut attendre à cause des passeports.
Les frais relatifs à ce voyage et à de mon séjour à Strasbourg sont consignés sur un feuillet à part.
Dès le premier jour de mon séjour à Strasbourg j’attendais un courrier de Strasbourg et mon impatience augmentait à chaque jour. Le 5, j’envoyai un courrier à Rouffach et le lendemain je reçus la lettre attendue, mais qui ne contenait pas le certificat que j’espérais y trouver. Je fus contraint alors à écrire une seconde lettre. Je reçus deux lettres de Rouffach et deux de Logelheim. J’expédiai également trois lettres à destination de Rouffach et trois autres à destination de Logelheim. Mais la troisième ne parvint à destination qu’après mon retour et s’avéra donc inutile.
Pendant mon séjour à Strasbourg, j’oubliai mes soucis [.] bien souvent on m’importuna avec les mêmes questions qui se répétaient et des inquiétudes exagérées. En particulier le matin du 23. C’est la raison pour laquelle je commandai le même jour ma place dans la diligence qui ne partit cependant que mardi 26.
Le 26 à 5 heures et demie du matin je me rendis à la Pomme d’Or pour prendre la diligence. Nous étions 8 dans le compartiment et 2 dans le cabriolet. A Sélestat j’étais préoccupé parce que je pensais que des jurés allaient déjeuner avec nous, et même que l’un d’eux faisait la route avec nous. Le repas nous coûta 2 livres et 10 sch. Nous arrivâmes à Colmar à six heures u soir, il faisait très sombre. Je pensais que la diligence allait s’arrêter sur la place, car c’est là que j’avais donné rendez-vous à Margaretha HENTZ dans ma lettre du 23. Mais la lettre ne parvint à sa destinataire que le 28 ! A la Montagne Noire je confiai mon bagage au valet d’écurie et je retraversai toute la ville en direction de la porte de Breisach, je traversai Horbourg, je passai près d’Andolsheim à travers champs ensemencés ou d’autres en friche. J’arrivai à plusieurs reprises sur les rives de l’Ill et à cause de ses méandres je dus m’enfoncer dans les terres pour les contourner. Ma montre s’était arrêtée en cours de route et je ne pouvais savoir à quel moment j’arriverais à Logelheim. La nuit était claire et la lune éclairait ma route. Mais j’étais inquiet, en particulier entre Horbourg et Andolsheim où je quittai la route, mais la clarté aurait pu me trahir et j’aurais pu être aperçu depuis la route et même depuis Andolsheim et ainsi éveiller des soupçons qui auraient pu me plonger dans le malheur. J’entrai par le jardin. J’étais trempé de sueur tant je m’étais hâté sur la route. Les jeunes filles m’attendaient.
En quittant Strasbourg j’avais de toute autres préoccupations, je ne savais pas si on allait me demander un passeport : le mien avait été visé au moment de mon arrivée, mais je n’avais pas de permission de nuit ni de passeport pour me rendre dans un autre lieu. Au cours de ce voyage aller-retour je n’avais pas le moindre Anstand. Les frais de ce voyage sont consignés sur un feuillet à part.
Il faut ajouter que la veille de mon départ j’avais eu un échange assez vif avec Monsieur et Madame BRAUN et leur fille, au sujet de notre Constitution, de la Liberté ainsi que de la guerre et de toutes les horreurs que je leur décrivais mais dont ils ne voulurent pas entendre parler……
Le 2 mars, Margaretha HENTZ se rendit à Colmar pour y chercher le bagage que j’y avais laissé. Elle en rapporta la nouvelle que les français avaient réduit en cendres la ville de Kehl dans la nuit du premier au 2. L’information me parut digne de foi car on avait déjà « couvert » le pont sur le Rhin alors que je me trouvais encore à Strasbourg. CUSTINE serait arrivé le soir du 28, d’autres disaient que les français avaient été battus et qu’ils s’étaient retirés et qu’on avait conduit à Strasbourg 600 morts et blessés. Plus tard, on apprit que Kehl était encore debout et n’avait même pas [.]
Le 14 mars, Margaretha se rendit à Colmar : le procès au sujet de son champ venait de se terminer.
Le 13, on avait perquisitionné chez M. OSTERMEYER à la recherche d’ecclésiastiques.
Le 17 et le 18, l’annonce de la pluie nous empêcha de nous rendre à Rouffach.
Le 15, je vêtis pour la première fois des vêtements féminins.
Le 19, nous nous rendîmes à Rouffach et à quatre heures et demie nous repartîmes. A huit heures nous arrivions à Logelheim. Ignace nous suivait. À minuit, nous étions couchés.
Le 20, Margaretha se rendit, à la demande de M. LAFFAY, à Breisach. Nos inquiétudes s’effacèrent en partie devant notre curiosité, car nous pensions que quelque chose d’extraordinaire se préparait ou s’était déjà accompli. Car le 18, on avait entendu de puissantes canonnades près de Huningue et les rumeurs étaient contradictoires : certains disaient que les français avaient passé le Rhin, d’autres prétendaient qu’une avant-garde, un avant-poste avait été battue, d’autres que les allemands avaient pris possession, complètement ou partiellement, du pont flottant des français. Le soir, à six heures moins le quart, on entendit un roulement de tambours, ma frayeur était grande, doch war es mehr Verstickung. Je ne savais pas ce que cela signifiait, si des soldats étaient en route, si c’était le bruit d’une tempête ou si c’était moi que l’on recherchait. Mais ce n’était que Sébastien STOFFEL qui annonçait à travers les rues du village qu’aucun jeune homme célibataire ne devait quitter le village. Marianne faillit se sentir mal. Margaretha ne revint qu’à 7 heures, elle n’avait pas rencontré l’officier. M JACOB lui avait écrit au sujet de la maison et du jardin. Les allemands avaient écrasé nidergemacht une garde de 8 hommes. Les patriotes sollen kleinmütig sein.
Le 21 à 7 heures, Margaretha m’annonça que le village tout entier était au courant de ma présence ici et que je devais quitter Logelheim. Un tailleur de Niderhergheim l’avait lui-même appris du vieux GROSSHENNY. Malheureux voyage à Rouffach… comme je me serais senti mieux aujourd’hui si je ne l’avais jamais entrepris ou si j’étais parti un instant plus tôt ou plus tard…. A chaque jour qui passait, ma présence ici serait plus connue et ne serait plus un secret pour aucun patriote. Malheureux pressentiment qui me torturait. Mais vers midi ma douleur se calma quelque peu, je pris mon repas dans ma chambre et je dormis dans l’autre maison. Je remis également des vêtements masculins. Bien souvent je voyageais dans mes propres vêtements et je n’avais pas été reconnu et la première fois que je mis des vêtements féminins je fus reconnu et
Le 22, je dormis dans l’autre maison, je me sentais un peu plus en sécurité. Mais on continuait de parler de moi, de plus en plus et partout.
Le 23, à nouveau triste, je dormis encore dans un autre endroit. Man rechnete auf auch horchen et on se préparait à prouver qu’il n’en était rien. Mais il ne vint personne.
Le 24, fut comme la veille. Aujourd’hui deux partis (?) voulurent m’enrôler de force me promettant tout le bien. Je passai l’après-midi au grenier à foin, mais je passai la nuit là où je l’avais passée la veille. On médisait de moi et des jeunes filles. On disait partout que j’entendais les paysans à confesse, on affirmait qu’on m’avait vu. La soirée fut très perturbée, Marianne ne cessait de pleurer. On disait que la maison allait être assaillie le soir même. Effectivement, à dix heures on frappa fort au volet de la chambre. On ne dîna pas. Toute la nuit il y eut du bruit dans le village.
Le 25, Margaretha se rendit à Breisach, bevor aber sagte jemand mir ab, sie wollten selbst haben ich hätte Beicht gehört, vielleicht nur ein Vorwand. Ce soir, je devais quitter ces lieux et nous avions très peur de la façon dont cela allait se passer.
fin de la première partie