Découvrez l'Alsace d'autrefois avec l'histoire de Rouffach, capitale de l'Obermundat.
Depuis 2016, nous nous employons à rappeler le passé astronomique de Rouffach, en particulier par la publication de quelques articles consacrés à Johannes Remus Quietanus (1588-1654), rouffachois d’adoption à partir de 1620. Sa correspondance avec les fondateurs de l’astronomie moderne, Galilée et Kepler, montre qu’il a participé avec pertinence au débat astronomique de son époque. Mais cette fois nous nous intéresserons davantage à ses pratiques médicales (il a accédé au grade de docteur en médecine en Italie vers 1610) et nous verrons que pour ce disciple de Paracelse, le macrocosme et le microcosme sont intimement liés.
En ce début d’année 1621, les Alpes sont enneigées, mais malgré tout, les nouvelles circulent entre l’Italie et l’Allemagne. Remus Quietanus, notre médecin-astronome rouffachois écrit à son ami Giovanni Faber, médecin et botaniste pontifical à Rome.
Dans cette lettre du 23 février, il est question de la récente élection du pape Grégoire XV, qui succède à Paul V, décédé en janvier. Certains propos confidentiels ont valeur de secrets médicaux et ne devraient pas être divulgués, mais nous avons estimé qu’après quatre siècles il y a prescription… En voici donc une traduction approximative, accompagnée de quelques commentaires et repères historiques.
Deux lépreux se voient refuser l'entrée dans une ville.
Enluminure du XIVème siècle.
Rouffach possédait autrefois trois hospices : l’hospice du Saint Esprit, fondé en 1270, l’hôpital Saint Jacques, fondé en 1290, et la léproserie, dont l’histoire est restée jusqu’à présent peu étudiée. Une rue de Rouffach, à l’Est de la ville, parallèle à la Rue de la Gare, porte aujourd’hui le nom de Rue des Bonnes Gens, la rue des lépreux. Elle rejoint à angle droit la Rue du Vieux Moulin. Le moulin dont il s’agit est aujourd’hui disparu, c’est l’ancien moulin de la Lauch, voisin d’un moulin à chanvre ou d’une fosse destinée au rouissage du chanvre. La maladrerie de Rouffach aurait donc pu se situer à proximité du confluent de la Lauch et de l’Ombach, le ruisseau qui après avoir traversé toute la ville, en sort tout près de la porte de Froeschwiller, pour se diriger vers l’Est.
Compte-rendu du Conseil, tenu le mardi qui suit Invocavit Année LXX (1570)
L’hôpital Saint Jacques et la léproserie sont des établissements «publics» contrairement à l’hospice du Saint Esprit ou au prieuré de saint Valentin. Leur gestion est confiée à un Spitalpfleger ou un Guetleüthpfleger (administrateur de l’hospice ou de la léproserie) qui gère les recettes et les dépenses et rend compte de sa gestion au Stattschaffner (l’économe de la Ville). Mais ces deux personnages ne sont que des administrateurs et sont peu, ou pas, présents dans l’hôpital ou la léproserie. Celui qui gère la maison au quotidien est le Meister et éventuellement une Meisterin (le maître ou la maîtresse de l’hospice), rémunérés par l’hôpital, qui entretiennent les locaux, s’occupent du chauffage, de l’éclairage, ainsi que de la nourriture et qui font appliquer le règlement intérieur.
En échange de quoi, le Spitalmeister dispose gracieusement d’un logement à l’hôpital, d’étables et écuries, ainsi que de granges. Il est dispensé du paiement de la taille, des tours de garde et des veilles, sauf ordres contraires du Magistrat. Il doit exploiter les terres de l’hôpital et ses 8 schatz de vignes. Il dispose également d’un jardin à la porte de Froeschwiller.
L’examen attentif des dépenses de l’hôpital ou de la léproserie aboutit rapidement au constat qu’elles ne sont pas ou peu affectées directement aux « pensionnaires » eux-mêmes : chauffage, entretien des bâtiments, frais de blanchisserie, beaucoup de dépenses pour des frais d’écriture… et là aussi, tout est prétexte à des libations ou « troisième mi-temps » à l’issue des comptes et des bilans, qui ne profitent guère aux nécessiteux. De nourriture, point ! C’est l’argent et les denrées alimentaires collectées qui servent exclusivement à l’entretien des Bettler...
Au cours de sa session ordinaire du mardi qui suit le Dimanche Invocavit de l’année 1570, le conseil décide de congédier le Spitalmeister, qui se serait rendu coupable de mauvais traitements sur les nécessiteux de l’hôpital !
Sebastian Münster: vue de la chapelle de l'hôpital Saint-Jacques et de la porte de Froeschwiller
Dans le règlement de l'Hôpital Saint-Jacques de 1606, il est à remarquer que dans tout le document, parmi les 3052 mots qui le composent, on ne trouve à aucun moment les mots Kranken ou Siechen, (malades) ou l’une ou l’autre de leurs formes : il n’y est question que de Bettler, de mendiants, de vagabonds. Dans d’autres documents sur le même sujet, même constat : les « pensionnaires » de l’hôpital sont désignés par les mots : die Arme, die arme Nodtleÿdtende, die Armen und Nothürftige, die Hausarmen, die arme Leüth, die Armen undt Betürftigen… les pauvres, les nécessiteux (un mot peut également désigner des malades, maladie et pauvreté allant de pair).
Et même si dans d'autres textes figurent les mots Krancken et Siechen, malades, on ne trouve pas de mention de soins du corps à apporter au malade. Les seuls soins qui sont évoqués sont ceux de l'âme, la confession et les saints sacrements...
L'essentiel de la mission de l'hôpital, établissement "civil" géré par le Magistrat, se limite donc à l'accueil, l'hébergement et le chauffage. La nourriture, elle, est assurée par les familles et surtout par la générosité de la population de la ville... Quant aux soins médicaux, il n'en est jamais fait mention, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient pas: la présence de médecins à l'hôpital ne sera attestée qu'au siècle suivant.
Et tout ne s'y passe pas toujours très bien pour les pensionnaires, ainsi que le dénonce cet extrait d'un protocole du Magistrat de 1616:
Gérard MICHEL
Ancien professeur de Lettres et passionné de paléographie, je partage sur ce blog le fruit de plus de 20 ans de travail autour de documents d'archives.
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