Vestiges de rinceaux peints autour de l'autel de la Vierge (photo G.M.)
On oublie trop souvent que nos églises et cathédrales étaient toutes peintes, à l'intérieur comme à l'extérieur: même les sculptures des portails et des tympans étaient polychromes. Les fresques et les peintures contribuaient à la beauté de l'édifice, mais leur fonction première était d'ordre pédagogique: il s'agissait d'initier les fidèles aux mystères de la religion et de les instruire, comme une bande dessinée aux couleurs vives enseignerait aujourd'hui le catéchisme à des enfants ..
Cette polychromie parfois très exubérante, a disparu dans la plupart des édifices, victime des dégradations naturelles dues au vieillissement des supports, aux infiltrations, à la pluie, au gel... Mais aussi victimes des changements de mode et surtout de la sottise et de l'ignorance... sous prétexte de revenir à "l'authentique" on a piqueté les crépis des églises, "nettoyé" les statues, les chapiteaux et les clés de voûtes pour revenir, nous faisait-on croire, à la rigueur et à l'austérité de la pierre nue et rendre ainsi au lieu sa pureté originelle... Quelques édifice du département sont aujourd'hui les tristes témoins de ces navrantes restaurations...
Découvert dans un registre des délibérations du conseil de fabrique...
En parcourant le registre des délibérations des Conseils de la fabrique de l’église paroissiale 1811 -1839, j’ai eu la surprise de découvrir un feuillet glissé entre deux pages. En voici le contenu qui remet en question des certitudes que nous avions jusqu’à présent au sujet des peintures murales de l’église :
entre
les soussignés M.M. le président et membres composant le Conseil de la fabrique de l’église de Rouffach, d’une part
et
André Zind, maître maçon, demeurant en la même ville, d’autre part
Il a été convenu et arrêté ce qui suit :
- Le dit Me Zind s’engage de recrépir l’intérieur de ladite église et la sacristie partout où elles en auront besoin, de blanchir tous les murs avec de la chaux entremêlée d’une couleur de paille jaune, de mettre toutes les corniches et toutes les garnitures des voûtes en peinture d’une couleur verdâtre solide, de peindre également de la manière qui lui sera plus tard indiquée, les fonts de baptême et les eaux bénitiers.
- Toutes les couleurs seront préparées à l’eau, à l’exception du fonds où elles devront, à hauteur d’homme, être préparées à la colle forte et appliquées tant aux murs qu’aux colonnes.
- L’entrepreneur devra commencer les travaux à partir du premier juillet prochain et les avoir terminés au plus tard le premier août suivant. Le nettoiement des autels et des confessionnaux qui seront endommagés par les travaux, sera fait par lui et à ses frais. Quant aux fonds et aux bancs de l’église, ils seront nettoyés par les soins du conseil de fabrique.
- Le délai ci-dessus fixé pour l’achèvement des travaux est tellement de rigueur qu’il sera retenu à l’entrepreneur dix francs par chaque jour de travail.
- Pour indemnité de cette entreprise, le conseil de la fabrique promet de payer au dit Me Zind, la somme de six cents francs en trois termes égaux, dont le premier dans la dixaine (sic) des travaux commencés, le second lorsque la moitié au moins des travaux sera exécutée et le troisième après le complet achèvement.
- L’entrepreneur devra, pour la solidité des couleurs, les couvrit de deux, et s’il le faut, de trois couches.
… à Rouffach, le dix-neuf juin mil huit cent trente six
Signatures et timbre -
Andreas Zind, Spannagel curé, Larger secrétaire, Riss, Bucher et une signature illisible
Dans l’angle en haut à gauche du recto : timbre à encre marqué Timbre royal 35 cent. et le même timbre sec.
Le registre s’arrête après la séance du 28 janvier 1839.
Dans ce registre figure une note, entre le compte-rendu de la séance du 8 juin et celui de celle du 24 juillet 1836.
Cette note porte le titre : Restauration de l’intérieur de l’église :
En juillet 1836, l’intérieur de l‘église paroissiale de Rouffach a été restauré par André Zind, maître maçon à Rouffach, au prix de 600 francs.
Réparation du plafond de l’orgue qui n’était recouvert que de planches, au prix de 130 francs.
Le devis de Zind est daté du 19 juin 1836 et cette note annonce que l’intérieur de l’église a été restauré en juillet : ce passé-composé signifie-t-il que l’on a commencé les travaux en juillet ou qu’ils étaient terminés en juillet ? Dans ce dernier cas les travaux n’auraient duré, au grand maximum, que les 11 jours qui restent de juin et les 31 du mois de juillet ? Ce qui parait très peu vraisemblable vu l’étendue des travaux prévus par le devis initial. Ce qui parait également très étonnant, toujours au vu de l’étendue de ces travaux, c’est le montant du devis, 600 Francs. Le lecteur découvrira par la suite que le remplacement de la porte principale de l’église par une porte neuve coûtera à peine plus, 689 Francs, et que le salaire annuel de l’organiste n’excède pas 300 Francs. Quant au repavage du chœur, il coûtera 1600 Francs...
Qu’est-ce qu’un Maître maçon a bien pu réaliser comme travaux en si peu de temps et pour deux fois le salaire d’un organiste d’église paroissiale. Il fallait qu’ils fussent bien mieux rétribués que ceux d’aujourd’hui !
Mais le problème que ce feuillet pose est bien plus sérieux : si ces travaux ont été effectivement réalisés, quel qu’en fut le prix, l’église a été partiellement recrépie, repeinte du sol au plafond, couleur jaune paille, deux ou trois couches si nécessaire, les colonnes, les chapiteaux et les corniches, ainsi que garnitures des voûtes (les clefs de voûtes ?) peintes en un joli vert « solide » …
Vestiges des peintures murales anciennes de la nef, côté nord: on y distingue un personnage, accoudé à un appui de fenêtre, tenant dans ses mains un phylactère... (photo G.M.)
Décrépissages, grattages, lavages et enlèvement des peintures…
Revenons un peu en arrière :
le 21 octobre 1603, la Ville se plaint de ce que, lors de récents travaux dans la nef et le chœur de l’église paroissiale, l’autel (le maître-autel ?) a été très sérieusement endommagé. Ces travaux, commandés et payés par le Grand Bailli, le comte Eberhard von Manderscheid-Blankenheim, consistaient à aussputzen, weissen oder bestechen toute l’église et le chœur, c’est-à dire nettoyer, blanchir ou crépir… toute l’église…
en 1836, André Zind, maître maçon à Rouffach, nettoie, recrépit, blanchit et met en peinture tout l’intérieur de l’église.
le 4 février 1868, l’abbé Straub [1] découvre à son tour les peintures murales découvertes dans l’église lors des travaux de restauration, qu’il date du commencement du treizième siècle et d’autres qu’il date de la première et seconde moitié du quinzième siècle.
en 1869, M. Gérard qui entretient le comité des travaux de restauration à l’église de Rouffach note la découverte sous le badigeon de plusieurs voûtes de quelques restes de fresques…
Et aujourd’hui, en 2022, il subsiste encore quelques éléments du décor ancien, dans la nef, côté nord, et quelques vestiges de rinceaux peints autour de l'autel de la Vierge : il s’agit de peinture murale, directement sur la pierre et non pas de fresques utilisant des pigments de couleur détrempés à l'eau appliquées sur un enduit (crépi) frais. Enlever cet enduit, fait disparaître irrémédiablement la peinture. Par contre la peinture appliquée directement sur la peinture, peut résister au lessivage, disparaître sous un badigeon à la chaux ou à une peinture à l’eau, et réapparaître plus tard, à l’occasion d’un lessivage.
C’est vraisemblablement ce qui s’est produit pour les peintures qui subsistent dans la nef. Une expertise permettra, à l’occasion des futurs travaux, de vérifier…
Par contre, il est possible que les décors dont parle l’abbé Staub aient été réalisés à la fresque, ce qui expliquerait les lacunes qu’il a pu constater : au fil des années et des siècles, certaines parties du crépi ont pu se détacher, à la suite d’infiltrations par exemple, entrainant des éléments du décor peint. Ce qui explique qu’il a fallu combler ces manques et bestechen en 1603 ou recrépir là où c’était nécessaire en 1836, avant de procéder au badigeon, sans enlever le crépi et mettre la pierre à nu, et de repeindre par-dessus.
Et ce qu’a vu l’abbé Staub, c’est la nef débarrassée de ses couches de badigeon et les peintures que le débadigeonnage venait de mettre au jour. Il propose de faire faire de ces peintures un calque fidèle qui devrait en conserver les lignes, dans le cas où leur restauration serait jugée « inopportune ». Et elle a sans doute été jugée inopportune.
Et la suite, on la connait : de 1867 à 1869, l’entreprise HILLER effectue le décrépissage, grattage, lavage et enlèvement de peinture des murs et les voûtes de l’édifice.
Ces calques ont-ils été réalisés ? Si oui, où sont-ils conservés ? Pour l’instant je n’ai pas la réponse…Ce document, découvert très récemment, ajoute une petite pierre de plus à l'histoire aux multiples surprises de notre église Notre Dame de l'Assomption de Rouffach...
Gérard Michel
D’autres notes, glanées dans le même registre :
Le pavage du chœur à refaire à neuf :
- 4 avril 1813 : Considérant que le pavé du chœur est tellement délabré qu’on ne peut y marcher de pied ferme. Ce que le bureau a déjà observé l’année dernière. Il devient nécessaire qu’il soit fait à neuf aux dépens de la Ville, la fabrique manquant de fonds…
Une nouvelle porte en chêne pour la porte principale de l’église
- 1er avril 1811 : La porte principale de l’église est « absolument hors de service par sa caducité » … « Vu le plan et les devis, ceux-ci se montant à la somme de 689 francs non compris le bois de chêne pour la porte principale… »
L’orgue victime des intempérités de l’hyver…
- 1er avril 1811 : Le bureau ayant examiné les orgues a reconnu que par l’intempéritié de l’hyver, la pédalle (sic) a été endommagée au point qu’une grande partie du grand orgue et l’écho ne parlent plus, a fait faire un devis estimatif de réparation par le sieur François Callinet facteur d’orgues à Rouffach, le jour d’hier, duquel il résulte que les réparations à faire se montent à la somme de 151 Francs…. Il est urgent de faire les réparations de crainte qu’elles en entraineraient de plus grandes par la suite
- Nouveaux organistes :
L’organiste touche un salaire annuel de 300 francs et le souffleur de 48 francs
Le 5 mars 1814, le sieur Franz, organiste présente sa démission, le sieur Joseph Diettelé est nommé, aux mêmes appointements
Le 14 mars 1817, Joseph Diettelé démissionne et est remplacé par Antoine Haumesser, instituteur de Ungersheim.
[1] Alexandre Joseph Straub, né le 19 mars 1825 à Strasbourg et décédé le 27 novembre 1891 dans cette même ville, est un chanoine, vicaire général, archéologue, collectionneur, historien de l’art qui a publié plusieurs ouvrages notamment en allemand et en français
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